CARTE POSTALE
C’est un jour d’été, à l’heure où le soleil darde ses rayons brûlants sur les corps alanguis et allongés sur le sable des plages, que je l’aperçus. Je me baladais dans la cité de Nanterre, comblant mon désœuvrement. Je rêvais, je musardais, quand, sur le sol, parmi les papiers gras et les boîtes de boisson gazeuse, mon regard fut attiré par les couleurs d’un morceau de bristol. Il faut avouer que, au milieu de toutes les saletés et les détritus qui jonchaient le trottoir et la rue, les couleurs de ce carton ressortaient avec un certain cachet. J’ai cru, tout d’abord, qu’il s’agissait d’un prospectus. En m’approchant, je compris mon erreur. En fait de réclame, c’était une carte postale !
Je la ramassai. Pourquoi ?
D’habitude, je ne me serais ni arrêté ni même baissé. Je ne sais ce qui me poussa à cet acte. Combien d’autres passants avaient marché dessus sans même regarder, se préoccuper de ce papier ? Moi pas ; il fallut que je le ramasse ! Cette carte représentait une vue de Saint-Malo. Ce site, d’une grande beauté, semble défier l’océan, le temps. Je connais bien cette ville forteresse pour y avoir traîné mon chagrin il y a quelques années. Les maisons de granit et les chemins de ronde, d’où l’on peut admirer le panorama et l’estuaire de la Rance, étaient, pour moi, un terrain de connaissance.
En retournant cette carte postale, j’ai lu ces mots adressés à une certaine Michèle B. « Je ne t’oublierai jamais car je t’aime. » La signature, difficile à déchiffrer, finit par livrer son secret. Je réussis à lire le nom : Jean-Claude F.
Cette simple phrase signifiait un drame. C’était un S.O.S. lancé par un navire en détresse, la bouteille à la mer du naufragé sur une île déserte.
Avait-elle été, cette carte, jetée délibérément sur la chaussée ou bien était-elle tombée du sac à main de l’inconnue nommée Michèle ?
Elle résidait dans la cité où je déambulais et où j’habitais !
Était-ce un amour de vacances, de circonstance, ou un amour plus profond ?
J’étais pensif, la carte postale dans ma main gauche. Ma main droite, posée sur mes lèvres, soulignait ma perplexité. Et dans mes songes, je vis des visages flous décomposés par la douleur et la haine. J’entendis des cris de désespoir et de mépris.
Je revivais quelque chose de déjà vu, vécu.
Saint-Malo sous la tempête à l’heure des adieux. La mer qui se déchaînait au rythme du vent. Les gréements des voiliers tintinnabulaient, grinçaient. Et l’immense impression de solitude qui m’oppressait face à l’océan symbole du néant !
Étranges sensations que ces instants de déchirure, de séparation.
Que la mer est triste avec le va-et-vient permanent, immuable, buté, des vagues. Je n’ai jamais aimé la mer. Elle me fait peur. Elle est la vie mais aussi et surtout la mort, le néant, la fin des fleuves, le cimetière des marins.
Les amours ressemblent à la mer. Ils vont et viennent, ils se brisent sur les écueils, la grève, puis disparaissent emportés par le temps. Secoués par les lames, entraînés dans les tourbillons, poussés par les courants sur les brisants, ils échouent et finissent sur une carte postale tombée sur le macadam d’une chaussée, d’un trottoir !
Pourtant, comme la mer, ils recommencent immuables, comme si de rien n’était !
Cette carte postale m’entraînait vers des cheminements incertains, des réminiscences, dans lesquels je risquais de tomber, de me noyer. Elle me portait sur des chemins inconnus, vers une adresse, une fille.
Pourquoi mes pas m’y menèrent-ils ?
Je ne sais pas ! Le fait est là : je me suis retrouvé dans la rue, devant le numéro inscrit sur la carte. C’était un bâtiment dortoir de quatre étages, sans allure, aussi triste que cette banlieue. Je restais devant l’entrée de l’H.L.M., ne sachant que faire !
J’espérais la venue de l’inconnue. Mais comment la reconnaître ! Je ne suis pas très doué pour les enquêtes policières et je me demandais ce que je devais faire.
Des gens sortaient, entraient dans l’immeuble. Quel âge pouvait-elle avoir ? Jeune certainement, pensai-je ! C’est curieux, mais l’amour nous renvoie à la jeunesse ! Car, au fond, elle n’était pas forcément toute jeune, cette Michèle…
Il me fallait savoir. J’eus l’idée de regarder les noms inscrits sur les boîtes aux lettres. Elle habitait l’appartement 144. Son courrier n’avait pas été relevé. Je décidai de m’éloigner quelque peu et d’attendre.
Une vieille dame pénétra dans l’immeuble, son cabas à la main, suivi d’un chien aussi vieux qu’elle. Plus tard, ce fut un couple, puis un homme seul. J’attendais, détective sans mobile, sans raison, sinon une immense curiosité. Vers dix-sept heures trente, une femme, la trentaine, cheveux longs, s’avança vers l’entrée. Elle sortit un trousseau de clés de son sac et ouvrit la boîte 144. J’avais découvert mon inconnue ! Qu’est-ce que cela pouvait m’apporter ? Cette histoire d’amour avortée ne me concernait pas. J’entrais dans l’intimité d’une vie. Je violais le jardin secret d’une personne.
La femme était belle et ressemblait à celle qui m’a quitté, il y a maintenant trois ans. La similitude était-elle réelle ou le fruit de mon imagination ?
Étonnant parallèle entre deux trajectoires ! Et quelle coïncidence que cette carte postale ! Me voilà dans la peau d’un voyeur, d’un enquêteur. Moi qui n’ai jamais aimé ni les polars, où l’on meurt à chaque page, ni la police !
En cherchant un sens, une fin à cette histoire entre Michèle et Jean-Claude, je retournais, inconsciemment, à mon propre passé. Je me rassurais en quelque sorte sur le dos d’un autre qui avait vécu la même mésaventure…
Ce qui, pourtant, restait le plus troublant, le plus marquant, était la coïncidence de la ville de Saint-Malo. Elle était notre dénominateur commun, car c’était dans cette localité que j’avais vécu, moi aussi, un déchirement semblable. Saint-Malo est-elle propice aux aventures amoureuses qui s’achèvent, elle qui connut tant d’aventures maritimes ? Le destin avait-il, volontairement, placé cette carte postale sous mes yeux ?
Le hasard était trop grand pour une simple similitude. Il y avait un signe, une énigme, qu’il me fallait deviner.
Et j’étais là observant et la femme et la boîte aux lettres.
Elle prit son courrier et regarda le verso des lettres, cherchant l'expéditeur. Attendait-elle une lettre de J.C. ? Espérait-elle une réconciliation ?
Je ne sais pas trop ce qui se passa alors, mais je me suis retrouvé à côté de Michèle. Elle me sourit et me dit familièrement : « Comment allez-vous ? »
J’étais abasourdi, elle me connaissait.
« Vous ne vous souvenez pas de moi, reprit-elle. La dernière fois que nous nous sommes vus c’était il y a trois ans à Saint-Malo. »
Elle était belle et ses yeux me fixaient, m’observaient, comme on regarde quelqu’un de bizarre, d’amnésique. Avais-je perdu la mémoire ?
« Souvenez-vous sur la place, près de la cathédrale, vous étiez en pleine dispute avec votre compagne. Moi, je vous observais. Au fait, vous cherchez quelqu’un ? »
Je lui répondis vaguement que j’avais dû confondre le numéro du bâtiment. J’ai dû mentir assez mal car son sourire devint ironique. Avait-elle compris ?
Quant à Saint-Malo, oui, je m’en souvenais, hélas !
Soudain, son sourire disparut de son visage qui s’attrista. Elle me dit : « Vous savez, moi aussi, quelques années après, j’ai connu une rupture sentimentale. Mon compagnon était de Saint-Malo. »
Je sentais, au fond d’une poche de mon blouson, la carte postale. J’avais envie de lui dire la vérité, mais je ne le fis pas.
Depuis ce jour mémorable, Michèle et moi, nous nous sommes revus, souvent. Samedi prochain, nous partirons pour Saint-Malo…
C’est un jour d’été, à l’heure où le soleil darde ses rayons brûlants sur les corps alanguis et allongés sur le sable des plages, que je l’aperçus. Je me baladais dans la cité de Nanterre, comblant mon désœuvrement. Je rêvais, je musardais, quand, sur le sol, parmi les papiers gras et les boîtes de boisson gazeuse, mon regard fut attiré par les couleurs d’un morceau de bristol. Il faut avouer que, au milieu de toutes les saletés et les détritus qui jonchaient le trottoir et la rue, les couleurs de ce carton ressortaient avec un certain cachet. J’ai cru, tout d’abord, qu’il s’agissait d’un prospectus. En m’approchant, je compris mon erreur. En fait de réclame, c’était une carte postale !
Je la ramassai. Pourquoi ?
D’habitude, je ne me serais ni arrêté ni même baissé. Je ne sais ce qui me poussa à cet acte. Combien d’autres passants avaient marché dessus sans même regarder, se préoccuper de ce papier ? Moi pas ; il fallut que je le ramasse ! Cette carte représentait une vue de Saint-Malo. Ce site, d’une grande beauté, semble défier l’océan, le temps. Je connais bien cette ville forteresse pour y avoir traîné mon chagrin il y a quelques années. Les maisons de granit et les chemins de ronde, d’où l’on peut admirer le panorama et l’estuaire de la Rance, étaient, pour moi, un terrain de connaissance.
En retournant cette carte postale, j’ai lu ces mots adressés à une certaine Michèle B. « Je ne t’oublierai jamais car je t’aime. » La signature, difficile à déchiffrer, finit par livrer son secret. Je réussis à lire le nom : Jean-Claude F.
Cette simple phrase signifiait un drame. C’était un S.O.S. lancé par un navire en détresse, la bouteille à la mer du naufragé sur une île déserte.
Avait-elle été, cette carte, jetée délibérément sur la chaussée ou bien était-elle tombée du sac à main de l’inconnue nommée Michèle ?
Elle résidait dans la cité où je déambulais et où j’habitais !
Était-ce un amour de vacances, de circonstance, ou un amour plus profond ?
J’étais pensif, la carte postale dans ma main gauche. Ma main droite, posée sur mes lèvres, soulignait ma perplexité. Et dans mes songes, je vis des visages flous décomposés par la douleur et la haine. J’entendis des cris de désespoir et de mépris.
Je revivais quelque chose de déjà vu, vécu.
Saint-Malo sous la tempête à l’heure des adieux. La mer qui se déchaînait au rythme du vent. Les gréements des voiliers tintinnabulaient, grinçaient. Et l’immense impression de solitude qui m’oppressait face à l’océan symbole du néant !
Étranges sensations que ces instants de déchirure, de séparation.
Que la mer est triste avec le va-et-vient permanent, immuable, buté, des vagues. Je n’ai jamais aimé la mer. Elle me fait peur. Elle est la vie mais aussi et surtout la mort, le néant, la fin des fleuves, le cimetière des marins.
Les amours ressemblent à la mer. Ils vont et viennent, ils se brisent sur les écueils, la grève, puis disparaissent emportés par le temps. Secoués par les lames, entraînés dans les tourbillons, poussés par les courants sur les brisants, ils échouent et finissent sur une carte postale tombée sur le macadam d’une chaussée, d’un trottoir !
Pourtant, comme la mer, ils recommencent immuables, comme si de rien n’était !
Cette carte postale m’entraînait vers des cheminements incertains, des réminiscences, dans lesquels je risquais de tomber, de me noyer. Elle me portait sur des chemins inconnus, vers une adresse, une fille.
Pourquoi mes pas m’y menèrent-ils ?
Je ne sais pas ! Le fait est là : je me suis retrouvé dans la rue, devant le numéro inscrit sur la carte. C’était un bâtiment dortoir de quatre étages, sans allure, aussi triste que cette banlieue. Je restais devant l’entrée de l’H.L.M., ne sachant que faire !
J’espérais la venue de l’inconnue. Mais comment la reconnaître ! Je ne suis pas très doué pour les enquêtes policières et je me demandais ce que je devais faire.
Des gens sortaient, entraient dans l’immeuble. Quel âge pouvait-elle avoir ? Jeune certainement, pensai-je ! C’est curieux, mais l’amour nous renvoie à la jeunesse ! Car, au fond, elle n’était pas forcément toute jeune, cette Michèle…
Il me fallait savoir. J’eus l’idée de regarder les noms inscrits sur les boîtes aux lettres. Elle habitait l’appartement 144. Son courrier n’avait pas été relevé. Je décidai de m’éloigner quelque peu et d’attendre.
Une vieille dame pénétra dans l’immeuble, son cabas à la main, suivi d’un chien aussi vieux qu’elle. Plus tard, ce fut un couple, puis un homme seul. J’attendais, détective sans mobile, sans raison, sinon une immense curiosité. Vers dix-sept heures trente, une femme, la trentaine, cheveux longs, s’avança vers l’entrée. Elle sortit un trousseau de clés de son sac et ouvrit la boîte 144. J’avais découvert mon inconnue ! Qu’est-ce que cela pouvait m’apporter ? Cette histoire d’amour avortée ne me concernait pas. J’entrais dans l’intimité d’une vie. Je violais le jardin secret d’une personne.
La femme était belle et ressemblait à celle qui m’a quitté, il y a maintenant trois ans. La similitude était-elle réelle ou le fruit de mon imagination ?
Étonnant parallèle entre deux trajectoires ! Et quelle coïncidence que cette carte postale ! Me voilà dans la peau d’un voyeur, d’un enquêteur. Moi qui n’ai jamais aimé ni les polars, où l’on meurt à chaque page, ni la police !
En cherchant un sens, une fin à cette histoire entre Michèle et Jean-Claude, je retournais, inconsciemment, à mon propre passé. Je me rassurais en quelque sorte sur le dos d’un autre qui avait vécu la même mésaventure…
Ce qui, pourtant, restait le plus troublant, le plus marquant, était la coïncidence de la ville de Saint-Malo. Elle était notre dénominateur commun, car c’était dans cette localité que j’avais vécu, moi aussi, un déchirement semblable. Saint-Malo est-elle propice aux aventures amoureuses qui s’achèvent, elle qui connut tant d’aventures maritimes ? Le destin avait-il, volontairement, placé cette carte postale sous mes yeux ?
Le hasard était trop grand pour une simple similitude. Il y avait un signe, une énigme, qu’il me fallait deviner.
Et j’étais là observant et la femme et la boîte aux lettres.
Elle prit son courrier et regarda le verso des lettres, cherchant l'expéditeur. Attendait-elle une lettre de J.C. ? Espérait-elle une réconciliation ?
Je ne sais pas trop ce qui se passa alors, mais je me suis retrouvé à côté de Michèle. Elle me sourit et me dit familièrement : « Comment allez-vous ? »
J’étais abasourdi, elle me connaissait.
« Vous ne vous souvenez pas de moi, reprit-elle. La dernière fois que nous nous sommes vus c’était il y a trois ans à Saint-Malo. »
Elle était belle et ses yeux me fixaient, m’observaient, comme on regarde quelqu’un de bizarre, d’amnésique. Avais-je perdu la mémoire ?
« Souvenez-vous sur la place, près de la cathédrale, vous étiez en pleine dispute avec votre compagne. Moi, je vous observais. Au fait, vous cherchez quelqu’un ? »
Je lui répondis vaguement que j’avais dû confondre le numéro du bâtiment. J’ai dû mentir assez mal car son sourire devint ironique. Avait-elle compris ?
Quant à Saint-Malo, oui, je m’en souvenais, hélas !
Soudain, son sourire disparut de son visage qui s’attrista. Elle me dit : « Vous savez, moi aussi, quelques années après, j’ai connu une rupture sentimentale. Mon compagnon était de Saint-Malo. »
Je sentais, au fond d’une poche de mon blouson, la carte postale. J’avais envie de lui dire la vérité, mais je ne le fis pas.
Depuis ce jour mémorable, Michèle et moi, nous nous sommes revus, souvent. Samedi prochain, nous partirons pour Saint-Malo…
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