CE JOUR LA
Je m’étais levé dès l’aurore pour respirer l’effluve des fleurs encore mouillées de rosée. Dans le jardin paternel les fils des toiles d’araignées accrochées au noisetier laissaient filtrer les rayons de l’astre qui réveillait les coqs et les hommes. Je glissais plus que je marchais sur l’herbe humide. J’allais dire ma révérence au fleuve royal qui serpente un peu plus loin. C’était un peu comme un rite, une habitude de l’enfance. Je ne pouvais dans mon Anjou natal commencer ou terminer une journée sans me rendre près de la Loire. Là, sur le bord du fleuve, je flânais parfois je déclamais mes récits devant les oiseaux migrateurs qui partageaient mes rêves poétiques. Ce fleuve lorsque j’étais petit garçon a connu mes songes les plus fous, mes confidences de poète en devenir. La Loire est comme une maitresse, une amante qui vous attire et vous comprend. Elle a bercé mon âme et aujourd’hui elle reste la source de mon inspiration. C’est là qu’un jour je connu ma première amourette pour laquelle j’ai composé ce poème :
BORDS DE LOIRE
Te souviens-tu
Des bords de Loire
Où nous allions
Enfants,
Amoureux ?
Des barques glissaient sur le fleuve.
Des pêcheurs rêvaient ou dormaient
Sur la paille
De leurs cabanes,
La bouteille de vin
Près d’eux…
Les brochets
Et autres poissons
Se moquaient des cannes…
Et nous deux,
Sur la levée
Près des Pont-de-Cé,
Nous cheminions
Sans rien dire
Ou si peu,
Dans la douceur
De l’été !
Qu’es-tu devenue
Ma belle amourette ?
Je garde au fond de moi
Ton prénom,
Ton sourire,
Tes yeux si doux et les bords de Loire…
L’amour s’en est allé voir un autre me laissant sur le bord du chemin. C’est le fleuve qui m’a consolé. Pour lui, pour elle, maitresse de mon désespoir, j’ai offert ce poème :
LA LOIRE
C’est une grande dame, étrange et souveraine
Qui traverse la France, irrigue les coteaux.
Puis caresse les pieds des manoirs et châteaux.
Dans le cadre enchanteur de la blanche Touraine !
Le long de la falaise où nichent des maisons,
C’est là qu’un jour naquit ma langue maternelle.
Le fleuve en est gardien, telle une sentinelle,
Un rempart permanent contre les trahisons !
A Saumur elle arrive en province angevine
Dont les vives couleurs, comme l’or des genêts
Et le blanc des tuffeaux, valent bien les sonnets
Qu’écrivit du Bellay sur sa terre divine !
Au fil de son courant, de ses cheminements,
Quelquefois virulente ou tendre poétesse,
La belle suit sa route avec délicatesse
Parmi douceur et calme ou bien déchirements…
Puis sortant de l’Anjou pour gagner l’Atlantique
Elle finit sa course au parcours épuisant.
Dissoute dans la mer, prise par le jusant
La Loire meurt avec mon rêve poétique !
Alors vous comprendrez que ce jour là du mois de mars je tombais abasourdi devant l’inconcevable qui fit écarquiller mes yeux. Combien d’individus face à l’inconnu sont restés pétrifiés, sans voix, sans réaction ? Le spectacle que j’aperçu me laissa pantois. Perdu dans mes chimères je ne pouvais pas l’accepter ni même le concevoir et pourtant il me fallait accepter la réalité, me ressaisir, essayer d’analyser, de comprendre. Malgré l’heure matinale, je n’étais pas le seul. Quelques promeneurs, quelques sportifs effectuant leur jogging, quelques pêcheurs regardaient stupéfaits. La nature et les hommes semblaient faire cause commune. Plus rien ne bougeait. Les bruits s’étaient arrêtés comme l’aiguille au pendule après un tremblement de terre. Mais la vision qui nous paralysait ne venait pas d’un séisme naturel. Un tremblement de terre cela fait peur mais on connait. D’ailleurs ici sur la terre angevine ils sont fréquents. Les roulements de la terre armoricaine parfois bousculent, perturbent la vie quotidienne des hommes et des animaux. J’en avais vécu plusieurs dans mon enfance et je me souvenais de l’un deux de force quatre sur l’échelle de Richter. Cette nuit là je dormais quand un grondement bouscula mon sommeil. Je crus à un orage mais le roulement venait du sol et s’avançait à toute vitesse. Le lit bougea. J’eu peur. Puis le calme revint. Mais aujourd’hui je pressentais autre chose de bien plus grave que les colères de la terre de mes ancêtres. La peur me prit. Une peur irraisonnée devant l’inconnu. Mes jambes se mirent à trembler. Mes mains tétanisées ne s’ouvraient plus. Tout mon corps refusait l’évidence en manifestant une angoisse qui empêchait toute réaction. Pris d’un immense vertige, je revoyais mon enfance comme un film qui déroule dans sa mémoire lors d’un évènement ou d’un accident très grave et que l’on sent que la vie vacille vers le néant. Mes bords de Loire se brouillaient, ma tête allait exploser.
La Loire saignait et vomissait à flots continus un sang rouge vif. Les idées les plus sombres me vinrent à l’esprit mais comment imaginer que ce sang était celui de milliers de gens ? Même aux pires moments des guerres de religions bien que la Loire charriait des dizaines de cadavres, son eau n’était pas sanguine. Il faut savoir qu’ici, en terre angevine, les guerres de religions ont laissé des traces dans les mémoires et la guerre de Vendée avec ses cortèges de violences marquent encore les esprits et la pierre. La haine religieuse, la violence révolutionnaire et ses colonnes infernales avaient détruit l’Anjou, la Bretagne et la Vendée. Mais c’était de l’histoire ancienne. Étais-je revenu en arrière ? Le temps avait-il fait un retour sur lui-même ? Je ne comprenais pas. Le courant tumultueux ne semblait pas vouloir se tarir. Le sang bouillonnait encore chaud du sacrifice. Quel holocauste, quelle guerre civile pouvait engendrer cette incessante mer sanguine ? Combien d’artères ouvertes, de corps égorgés pour un tel courant ?
Je vis au loin la poussière soulevée par une cavalcade effrénée. Des centaines de cavaliers le fusil à la main fonçaient sur l’autre rive du fleuve, dévastant tout. C’était l’une des colonnes infernale du général Turreau pour lequel la Convention avait donnée le pouvoir de passer par le fil de la baïonnette tous les rebelles catholiques.
Soudain derrière moi j’entendis les hurlements d’une meute. Je me retournais inquiet. Des centaines d’hommes et de femmes de l’armée catholique et royale brandissant des fusils, des faux, s’élançait sur la rive du fleuve où j’étais.
L’affrontement des deux parties semblait inévitable, j’étais au milieu des ennemis dans un espace temps qui n’était pas le mien.
La veille avant de me coucher, j’avais relu un livre d’histoire sur les guerres de Vendée et leurs conséquences sur l’Anjou. Je ne pensais pas me retrouver brutalement en 1793 face aux antagonistes ! Que c’était-il produit pour faire un tel bond de 200 ans en arrière ? La terre avait t-elle subit un cataclysme astronomique ? Je me souvenais de l’interview d’un astrophysicien américain qui affirmait que si la terre ralentissait de tourner sur elle-même, cela pourrait provoquer un retour en arrière. Mais l’histoire et les hommes pouvaient-ils revenir dans un autre temps ?
Tout à mes réflexions, les deux armées antagonistes s’étaient rapprochées. Apeuré, épouvanté je cherchais désespérément une échappatoire, mais d’un côté le fleuve et de l’autre des marécages laissés par les eaux d’étiage. J’étais pris entre les belligérants, entre deux feux !
Les vociférations des deux camps s’amplifiaient. Les hurlements de haine résonnaient dans mes oreilles et déjà l’haleine fétide des antagonistes me prenait à la gorge. J’allais mourir dans un autre siècle ! C’en étais trop, je tournais de l’œil et m’évanouie.
Un vacarme intense me réveilla et je poussai un cri d’angoisse. J’étais fébrile et mon cœur battait à vive allure mais j’étais vivant, assis sur mon lit chez moi à Nanterre bien loin des bords de Loire ! Le bruit qui m’avait réveillé et mit fin à mon cauchemar n’était autre qu’un train de travaux de la R.A.T.P !
Le livre d’histoire, sur les guerres de Vendée, que j’avais parcouru la veille avait déclenché cette terrifiante vision…
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 12 autres membres