CONCILIABULES
Un jour, lors d’une promenade dans le Massif Central, région que j’apprécie pour mes randonnées pédestres, je vis dans une excavation de la montagne, sur le versant poudreux d’une pouzzolane un homme farfouillant la roche.
Je m’approchais doucement et, à ma grande surprise, je m’aperçu que l’individu parlait à un morceau de caillou qu‘il venait d‘enlever à la coulée de la cendre volcanique !
J’avançais avec circonspection, prenant garde à ne pas faire de bruit. J’étais, je l’avoue, un peu inquiet. Des gens qui parlent tous seuls ou à des objets, il y en a beaucoup dans les rues de nos villes et les transports publics, mais là dans le Cantal cela paraissait très suspect, voire menaçant. Dans les villes on peut s’écarter, fuir, chercher de l’aide! Dans les transports il y a du monde, on peut descendre à la station suivante! Mais j’étais en Auvergne, dans un endroit isolé, en pleine montagne et seul !
J’arrivais à quelques mètres du bonhomme qui parlait au caillou. C’était un vrai discours que l’homme tenait à la pierre. Il lui parlait avec beaucoup de gentillesse comme on parle à l’être aimé. Sa mimique expressive semblait elle aussi s’adresser au caillou. Il lui souriait, la caressait du regard et de ses gros doigts. J’étais abasourdi et troublé. Brusquement il se retourna vers moi. Mes pieds avaient dû remuer les pierres.
L’homme était énorme tant en hauteur, qu’en largeur. Une moustache, à la José Bové, retombait sur les lèvres. Ses cheveux longs, ébouriffés encadraient un visage aux joues gonflées et rouges. Il portait un manteau sale et fripé qui accentuait encore plus sa silhouette. Ses yeux, derrières des lunettes aux verres de myopes me regardaient comme un entomologiste regarde l’insecte sous la loupe. Il me dévisageait, m’auscultait, me perçait. Je me sentais insecte ! J’aurai voulu fuir, me cacher sous terre. Ses mains énormes ressemblaient à des battoirs.
Il semblait sortir d’un conte de fée à faire peur les enfants. J’eu des visions de yétis, pourtant nous n’étions pas au Tibet. Était-ce une sorte de Cro-Magnon parvenu jusqu’à nous ? Soudain j’eus la solution : Bibendum car nous étions dans le Massif Central et à Clermont-Ferrand sont les usines Michelin avec leur fameuse effigie. Ma vision me rassura à moitié et me fit sourire. Il sourit à son tour, du moins je supposais que sa grimace était l’esquisse d’un sourire…
Nous restâmes quelques instants ainsi à nous regarder. Malgré sa corpulence, ses vêtements et sa coupe de cheveux, il n’avait rien d’un déséquilibré, ni d’un farfelu. Alors prenant mon courage à deux mains j’avançais :
- bonjour, lui dis-je, que faites vous donc ?
- bonjour me répondit-il d’une voix douce et frêle qui ne correspondait pas à l’apparence du corps. Je suis géologue ou plutôt vulcanologue. L’Institut de Physique du Globe de Paris m’a mandaté pour chercher des échantillons de pierres volcaniques afin de les analysées avec urgence.
J’étais captivé par les mots du chercheur.
- et pourquoi cette urgence ?
- nous pensons, mes collègues et moi ainsi que de nombreux vulcanologues étrangers, que le volcanisme du Massif Central connaît depuis quelques temps une phase d’activité intense et par là même inquiétante.
Je ne savais plus que dire, fasciné par les propos de mon interlocuteur. Les volcans d’Auvergne risquaient de se réveiller et moi je me baladais tranquillement insouciant de l’activité du sous-sol !
- tenez, repris mon géologue, ce caillou est d’une projection récente ou plus précisément d’une coulée volcanique nouvelle.
Je sentis mes jambes flageolées. Je regardais angoissé autour de moi et les sommets des volcans que j’imaginais éteint à jamais.
- regardez cette bombe volcanique en forme de bouse de vache dans ma main, vous voyez là à l’intérieur ces cristaux verts ? J’ai cassé la pierre et à l’intérieur ces cristaux verts c’est du péridot, de l’olivine si vous préférez. Ce minéral se cristallise sous une forte chaleur.
Nous pensons qu’il y a eu des projections récemment. Heureusement il n’y a pas d’habitations autour d’un périmètre d’une vingtaine de kilomètres. Seule une ferme à quelques centaines de mètres du cône de coulée, mais le fermier est sourd comme un pot. Il n’a rien entendu de l’éruption. Rassurez-vous, il s’agit d’un petit volcan, une sorte de fumerolle qui cracherait par moment quelques scories et épancherait sa lave visqueuse.
- venez me dit-il, je vais vous montrer quelque chose d’important et qui corrobore mon raisonnement. Ce n’est pas loin d’ici.
Je suivis le personnage. Il marchait pesamment sur le sentier. Durant le trajet je cogitais. Une éruption volcanique était en cours et moi je me baladais tranquillement croyant que les volcans étaient définitivement endormis ! Haroun Tazieff avait donc eu raison. Personne ne l’avait cru et ses collègues, les savants, l’avaient considéré comme un farfelu.
Nous arrivâmes bientôt dans le creux d’une vallée. Une source jaillissait de la montagne.
- mettez votre main sous l’eau.
Je m’exécutais intrigué. Au contact de l’eau ma main bondit en arrière stupéfaite de la chaleur ressentie.
- alors vous voyez me dit le géologue. Depuis quelques temps nous avons remarqué une élévation de la température des sources venant des entrailles de la terre. Une augmentation de plus de 5 degrés ! Nous sommes en face d’une pré manifestation volcanique. Dans quelques jours, quelques mois au plus une éruption aura lieu ici.
J’étais stupéfait par les révélations du savant. Une peur ancestrale saisie mon corps. Je me mis à trembler.
- vous avez froid me demanda le chercheur un peu ironique ?
Il me regarda longuement de ses yeux rieurs puis il me dit :
- si cela vous intéresse de connaître le résultat de nos recherches, je serai de retour au laboratoire de l’Institut de Paris la semaine prochaine. Venez donc me voir, je m‘appelle Berner Claude.
Je quittai le savant en lui promettant de venir le voir dès la semaine suivante. Je parti rapidement, je volais presque. Sous mes chaussures de randonnées je sentais la chaleur des laves ! Mon imagination engendrait mes fantasmes. Les trois jours suivant que je passai à marcher furent longs et angoissants. J’étais en proie à la panique. Je ne dormis pas. Je vis les volcans exploser dans un vacarme assourdissant. Je fuyais les coulées de laves incandescentes, les nuées ardentes. Je n’osais plus boire et toucher l’eau de peur de me brûler.
Le matin du quatrième jour je montais dans le train en gare de Murat. Lorsque celui-ci s’ébranla et prit de la vitesse, je commençais à respirer. Ce n’est qu’au bout d’une demi-heure que je fus soulagé, nous quittions l’Auvergne et c’était bien la première fois que je partais de cette région avec joie !
Arrivé dans la capitale, j’achetais les journaux, les revues scientifiques, j‘allumai la télévision, je scrutais Internet : rien. Personne ne parlait de la catastrophe imminente. Les autorités devaient imposer une censure terrible afin de ne pas alarmer les populations. Pendant ce temps là, le préfet de région devait s’activer à la préparation d’une évacuation.
Le silence sur le cataclysme imminent était total.
Le jeudi, n’y tenant plus, je posais un R.T.T. et je me rendis l’Institut de Physique du Globe, dont le siège est à côté de l’université de Jussieu, afin de discuter avec le chercheur. Je voulais savoir.
L’immensité du site qu’est l‘Institut, ne me permis pas de trouver aisément le laboratoire de géologie. Je m’informais auprès du concierge à l’entrée. Il consulta son annuaire :
- je ne vois pas de Claude Berner, me dit-il. Mais vous savez ici ça bouge toujours avec les étudiants en doctorat, les chercheurs étrangers et les politiques.
- vous avez vu beaucoup d’hommes politiques ces derniers jours, lui demandais-je ?
- tiens ! Elle est curieuse votre question. En effet depuis une semaine plusieurs sommités de la recherche volcaniques sont venues ainsi que le ministre de l’intérieur, celui de la défense et on nous annonce la venue du Président de la République.
Je restais figé, cette présence de personnages importants corroborait les dires du géologue.
- bon, finit par dire le gardien après avoir consulté un immense cahier, vous allez monter au cinquième étage. Vous trouverez le bureau de volcanologie. Prenez l’ascenseur au bout du couloir.
Dans l’ascenseur qui me conduisait à l’étage, l’angoisse me repris. J’étais persuadé que quelque chose de grave allait arrivée et que l’on cachait la vérité au public.
Je poussais la porte de l’ascenseur et pénétrais dans le couloir du cinquième. Je trouvais facilement le bureau indiqué par un numéro. Je toquais l’huis.
- entrez.
J’entrais. Le bureau ressemblait à un laboratoire avec ses instruments, des sismographes, des ordinateurs, du matériel dont j’ignorais jusqu’au nom. Je regardais partout, captivé.
- bonjour dit soudain une voix !
Je sursautais.
- bonjour répondis-je en me tournant vers la voix.
L’homme était grand, maigre, bien habillé.
- que voulez-vous me demanda-t-il ?
- voilà j’ai au cours d’une randonnée dans le Massif Central, rencontré l’un de vos chercheurs qui..
- son nom ?
Il avait beau être bien fagoté, c’était un malotru un peu péremptoire. Je m’exécutais :
- monsieur Berner Claude.
- connaît pas !
- peut être que…
- je suis le directeur de l’Institut me répondit-il sèchement, je connais mon personnel et mes chercheurs.
Puis se radoucissant, que voulez-vous à ce monsieur ?
- il m’a affirmé qu’une éruption prochaine des volcans d’Auvergne aurait lieue, d’ailleurs votre gardien m’a confirmé la présence de responsables politiques et de chercheurs qui se bousculaient à l’Institut depuis quelques temps.
Le directeur s’esclaffa bruyamment. Son rire semblait sans fin.
- mon pauvre ami vous délirez ou vous avez trop bu. Les volcans d’Auvergne ne sont pas près de se réveiller
- pourtant ce monsieur répondis-je un peu vexé de l’allusion…
- balivernes que tout cela et votre monsieur Berner vous ne trouvez pas curieux son nom ? Berner : comme berner le premier venu. Il se remit à rire.
- et puis vos politiciens vous savez pourquoi ils viennent à l’Institut ?
- non
- ils viennent pour un nouveau projet de bâtiment plus ouvert sur le monde extérieur et l’université. Si vous aviez regardé dans le hall d’accueil les panneaux explicatifs du futur Institut vous ne me poseriez pas cette question.
- venez me dit-il m’entraînant vers des sismographes. Vous voyez les graphiques de ses sismographes sont ceux des capteurs de déformation, d’inclinaison, d’écartement des volcans d’Auvergne que nous surveillons en temps réel grâce aux satellites et l’informatique. Regardez les graphiques ils sont plats.
- pourtant d’après monsieur Berner l’eau est de plus en plus chaude et…
- taratata, laissez donc tomber votre Berner de mes deux. L’eau chaude de l’auvergne est due au gradient géothermique et à rien d’autre. Plus l’eau de pluie s’enfonce en terre, plus elle se réchauffe et si elle ressort elle peut avoir une température de plus de cinquante degrés.
Lorsque je ressortis de l’Institut, penaud et honteux, le rire du directeur me suivait. Je rentrais dans le premier bistrot et commandais un demi. Ainsi je m’étais fait avoir par ce personnage qui ne devait être qu’un simple collectionneur de minéraux. Il avait abusé de ma crédulité. Lui aussi devait se marrer.
Au fonds de moi, bien que mécontent, j’étais rassuré. Les volcans d’Auvergne dormaient sagement, je pouvais encore me promener dans cette région que j’affectionne tout particulièrement.
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