FANTÔME
J’avais retrouvé dans le grenier de mes parents une vieille photo de grand-père en tenue de soldat : vareuse, culotte bleu horizon, des guêtres, un ceinturon, son étui « jambon » à révolver, son casque et son fusil Lebel au bout duquel était fixée la baïonnette. Il portait bien l’uniforme.
Entouré de son cadre vermoulu par le temps, son portrait accroché sur l’un des murs de mon salon, la photo contrastait dans l’HLM où je loge. J’étais fier de l’ancêtre.
Il était célèbre non point en sa qualité de militaire, un simple lieutenant de réserve réquisitionné pendant la guerre de 14-18 ; mais pour ses écrits qui aujourd’hui s’inscrivent dans la postérité littéraire.
Je ne l’avais pas connu.
Il avait eu juste le temps de donner naissance à mon père.
Cette guerre odieuse fut une véritable hécatombe pour les familles. Le pays s’en trouva, pour de nombreuses années, amputé de ses forces vives tant dans le domaine du travail manuel que dans sa vie intellectuelle.
Il ne me reste que cette image et les récits de grand-mère pour combler le vide de l’absence. Ce vide pesait sur mon existence. Il manquait dans mon enfance ce bras apaisant qu’il aurait pu poser sur l’épaule du petit garçon anxieux que je fus. Hélas ! La guerre enleva tant de bras qui auraient pu se poser sur les épaules des enfants. Orphelin du passé, incertain de l’avenir, je vivais de ses souvenirs.
Depuis huit jours grand-père trônait dans l’appartement.
Je lui parlai.
Il me tenait compagnie.
Le Grand-Père absent de mon enfance me revenait à l’âge adulte. Il imprégnait la pièce de sa présence. Sous son cadre, bien en évidence sur un meuble bas j’avais disposé ses livres : romans, essais, recueils de poésie. Ceux qu’il avait pu écrire et éditer avant qu’une balle ennemie mette un point final à son écriture et à sa vie. J’avais, sur une feuille dactylographiée, inscrit un de ses aphorismes qui me tenait à cœur :
« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite »
Cette feuille je l’avais épinglée, sur la porte du salon je lisais, et relisais plusieurs fois par jour cette maxime. Cette pensée me convenait. Grand-père à l’époque où il oeuvrait fut considéré longtemps comme un socialiste anarchiste, un peu mystique. Sa conception philosophique du monde s’accordait avec la mienne, un siècle après.
En toute modestie, je reprenais le flambeau.
J’écrivais.
Ma notoriété n’ira pas ombrager la sienne. Je le savais. Difficile d’être le petit fils d’un tel personnage, de se hisser à son niveau.
Je griffonne les pages de mes écrits, poèmes. Parfois l’insomnie m’oblige à des heures supplémentaires où les mots vous guident vers des contrées étranges, secrètes. Je me demande si une entité ou une muse ne tient la main qui annote les pages. Ce grand-père inconnu, parti dans l’au-delà, m’aidait-il ? Un héritage à titre posthume, de ce bras qu’il n’avait pu poser sur l’enfant que je fus, aidait ma plume à transcrire mes pensées sur le papier. À d’autres moments, la fatigue me malmenait. Je gagnai le lit. Mon sommeil agité devenait lourd de rêves étranges.
J’étais avec grand-père dans les tranchées. Je combattais avec lui, sous ses ordres. Une nuit de songe je me souviens qu’un capitaine lui dit :
- Charles (c’était son prénom, ce qui signifiait que ce capitaine était ami avec grand-père) dans deux heures l’assaut à l’ennemi sera donné. Nous devons repousser les boches de cette colline.
Je tremblai de peur. Je n’étais pas le seul à paniquer. Les marmites éclataient au-dessus de nos têtes. La mitraille faisait un mur de balles infranchissable. Les obus tombaient tels les boulets à Gravelotte dans les sanglants combats de 1870. La mort rôdait autour de nous comme la pluie dans la tranchée. Le froid, la boue, la peur se mélangeaient, faisaient de nous des bêtes.nous étions sales, dégoutants. Ont puaient. Les rats couraient parmi nos jambes, sur nos gravas ou nous dormions d’un sommeil agité, apeuré. Les poux, la vermine nous tenaient compagnie.
À deux heures notre artillerie déclencha un tir de barrage. Un barrage de feu et d’acier.
Le lieutenant donna l’ordre de nous préparer pour l’attaque. Nos n’osions nous regarder. Nous savions que la frayeur se dessinait sur nos visages poilus et sales. Qui reviendrait vivant de l’assaut, qui serait gravement blessé, qui agoniserait sur le sol lunaire sans secours possible ? Toutes ces questions taraudaient l’angoisse qui nous accpmpagnait nuit et jour.
Mon rêve de conquérant s’estompa brutalement. Un bruit incongru dans le salon venait de l’interrompre.
Je me levai. Un livre, peut-être, avait chuté d’une étagère.
J’allumai.
La lumière éclaira le salon. Je clignai des yeux. Ma vision s’affermit.
Je restai stupéfait.
Tout d’abord je crus que mon rêve continuait, que je rêvai debout tel un somnambule entre le réel et l’irréel.
Il n’en était rien.
Assis sur une chaise du salon, il attendait.
Il m’attendait.
Machinalement je regardai le cadre suspendu au mur. L’image avait disparu. Seul restait l’entourage piqueté.
Mes yeux retournèrent vers la chaise.
Il me souriait.
Vêtu de son uniforme de lieutenant de régiment d’infanterie, grand-père me regardait.
Je ne sus que dire. Un siècle, jour pour jour, après sa mort il se présentait devant moi, chez moi. Nous étions passés de 1914 à 2014 ou peut-être était-ce l’inverse !
Aucun son ne sortait de ma bouche et d’ailleurs qu’aurais-je pu lui dire ? lui non plus ne disait rien. Il me regardait. Il semblait à l’aise dans ce monde qu’il n’avait pu connaitre. Était-ce une hallucination ? Je fermai les yeux. Je les ouvris à nouveau. Il était toujours là. Il m’observait. Je perçus un sourire qui se cachait sous le collier de sa barbe. Ses yeux riaient derrière les verres de ses lunettes. Il paraissait heureux de me voir, de connaitre enfin son petit fils !
Mon corps pétrifié, adossé au chambranle de la porte de ma chambre commençait à trembler. L’apparition inexpliquée me fascinait. Ce n’était pas de peur que je tremblai, mais de joie. D’une joie indescriptible. Une joie qui traversait l’espace-temps et mettait en relation un grand-père mort en 1914 et son petit fils vivant en 2014! Le passé se conjuguait au présent comme si l’espace venait d’être compressé !
C’était merveilleux. C’est un peu comme si je retrouvai l’enfance et que l’absence de grand-père n’avait jamais existé.
Et si cette terrible guerre venait d’être soudainement effacée par un paradoxe où le passé n’existerait plus ? L’histoire de l’Europe, du Monde, en serait chamboulée. Tant des morts ressurgiraient de la glèbe où ils se terraient. Les tombes s’ouvriraient pour laisser sortir des millions de jeunes hommes. Combien d’enfants retrouveront l’apaisement auprès de leur grand-père ?
Je finis par bouger.
Je fis trois pas.
J’approchai.
Je tendis les mains pour toucher l’aïeul. Tout à ma jubilation empressée je faillis basculer. Je voulais toucher la capote bleue, le visage de mon grand-père.
Elles rencontrèrent une chaise vide !
Grand-Père venait de disparaitre !
Je restai ébahi. Je me pinçai. Non, je ne rêvai pas. Il était là, il n’était plus là.
Je levai la tête.
Il paradait à nouveau dans le cadre. Ce n’était pas une hallucination. Le cadre remuait encore de son retour. Il venait de reprendre sa place sur le mur et dans l’espace du temps qui lui était assigné. Le temps refusait d’effacer l’histoire, de me rendre un passé interdit.
Il était venu pour me voir puis s’en était retourné vers son histoire : sa tombe ! Depuis Enstein et sa relativité nous savons que cela est possible : Remonter le temps pour aller vers le futur. Jusqu’à ce jour, grâce aux trous noirs et aux trous de verres, les physiciens pensent que l’on pourra en maitrisant la vitesse de la lumière remonter le temps. L’inverse est plus problématique. Grand-père venait de prouver le contraire.
La flèche du temps c'est-à-dire l’orientation du temps est toujours vers le futur jamais vers le passé. La physique fondamentale troublait mes pensées.
L’évanouissement me guettait. Mes pieds titubaient. Pris de vertige, je regagnai mon lit. Dans un réflex comme au temps de mon enfance, je me blottis sous les draps.
Le sommeil me reprit, le rêve aussi.
Je me retrouvai debout contre le parapet de la tranchée. Nous étions une centaine de jeunes soldats apeurés. L’ordre vint. L’heure de l’attaque sonna. Le lieutenant Charles se hissa du boyau. Nous suivîmes en hurlant sus aux boches, sous les tirs ennemis.Ce jour du cinq septembre 1914, grand-père tomba au champ d’honneur.
Le lieutenant Charles Péguy, écrivain et poète, venait de mourir au combat d’une balle allemande dans la tête à Villeroy.
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