LA PETITE VOIX
Il était une fois, dans un village du bord de mer et dans un pays lointain, un village paisible. Les habitants avaient, par obligation, construit leurs maisons sur pilotis.
En effet sur le rivage et dans la vaste forêt qui le bordait, régnait un monstre dévoreur d’hommes.
Ce monstre était énorme. Il avait la particularité de changer de couleurs selon son humeur ! Souvent il rodait sur le sable, reniflant l’odeur de l’homme. Mais il ne savait pas nager !
C’était un monstre terrifiant. Quand il ouvrait sa gueule gigantesque, on ne voyait pas le fond de cette dernière. Elle ressemblait à une caverne géante. Deux rangées de dents aussi grandes que des montagnes bordaient ses mâchoires.
Un jour il avait avalé en même temps et d’un seul coup, quatre hommes ainsi que leur barque ! Ce fut horrible. Les hommes venaient de récupérer des troncs de la forêt et ils les mettaient sur l’eau pour les acheminer jusqu’au village. Quand soudain, dans un rugissement d’enfer, le monstre se précipita sur eux. Sa peau revêtue de cuirasse avait une couleur rouge pourpre. Le mastodonte fonça vers ses proies. Ils eurent beau pousser la barque à l’eau et sauter dedans, c’était trop tard. Et dans le silence revenu, leurs cris étouffés s’éteignirent dans la gueule du monstre qui, apaisé, passa du rouge pourpre au jaune pâle.
Ils ne furent pas les seuls à disparaitre de cette façon. Le village payait un lourd tribut à la bête.
Il fallait réagir. Alors, un soir, le chef du village réunit les hommes dans la grande salle du conseil.
- Il faut en finir, leur dit-il, avec ce monstre !
- Nous n’avons que des pieux épointés pour lutter contre lui, répondit l’un des présents !
C’était vrai. Comment affronter ce monstre sans armes ? La discussion s’éternisait sans aucune solution en vue. Lorsqu’une petite voix se fit entendre :
- J’irai moi, dit-elle, combattre le monstre et je le tuerai.
L’assistance se retourna vers la voix. Un silence pesant accueillit les paroles. Incompréhension, sourires ironiques se lisaient sur les vissages.
Il faut dire que la voix venait d’un enfant !
Le chef du village se retourna vers la petite voix. Il s’appelait BAMALOU. Son père avait été dévoré par la bête et sa mère était morte de chagrin. Le chef comprenait.
- Comment penses-tu faire ?
Je suis petit, reprit la petite voix, et jamais le monstre ne fera attention à moi !
C’était vrai pensa le chef. L’argument tenait la route.
- Oui, mais comment procèderas-tu ?
- Je ne sais pas, mais je veux tuer ce monstre.
Le chef réfléchit et finit par dire à l’enfant :
- Je refuse, ce n’est pas à un enfant de défendre la communauté !
Bamalou ne dit rien, mais il était décidé.
Le soir même, après la réunion du Conseil qui n’avait rien décidé, il se glissa dans la mer. Bamalou était bon nageur, il eut tôt fait de gagner, incognito, la rive.
Il pénétra dans la forêt. C’était la première fois qu’il marchait parmi les arbres et la pénombre qui les enveloppait faisait d’eux des géants dont les branches, tels des bras immenses, semblaient vouloir se saisir de l’enfant. Bamalou tremblait. Il avait peur. Ne savait où aller. Mais il voulait venger son père et sa mère. Ses pieds nus suivaient une sente. La pluie se mit à taper le sol et la végétation. Un déluge trempa l’enfant. Il tremblait et se réfugia sous l’abri d’un rocher dont une partie faisait auvent.
Bamalou se mit à pleurer. Il gémit. Inconsciemment il se mit à appeler son père, sa mère. Puis il se ressaisit. Il lui fallait être fort, montré aux hommes du village qu’il était courageux.
La pluie, la nuit, la peur faisaient fondre sa détermination.
Soudain, il sentit, à son côté, une présence. Bamalou se retourna et faillit tressaillir. Une vieille femme, hideuse et laide se tenait à ces côtés. Elle l’observait.
Bamalou se mit à trembler.
- N’ai pas peur, enfant, dit la femme. Qui es-tu et que fais-tu là ?
- Je suis, répondit Bamalou de sa petite voix, un enfant du village sur pilotis. Je suis venu dans cette forêt pour venger mon père et ma mère du monstre. Les gens du village ignorent ma présence ici.
La vieille resta silencieuse et le regarda longuement, puis elle dit :
- Moi aussi je veux la mort du monstre. Un jour, il a dévoré mes deux garçons et ma fille. Ma fille avait ton âge. Mais comment vas-tu faire pour tuer la bête ?
- Je ne sais pas madame !
- Viens avec moi, dit-elle.
La vieille l’entraina dans une grotte qui lui servait de logis.
- Réchauffe-toi et mange à ta faim pour l’instant.
Quand Bamalou eut retrouvé sa force et ses esprits, la vieille lui expliqua qu’elle connaissait la cachette du monstre. Elle lui dit, aussi, qu’un jour le monstre avait voulu l’attaquer et que, dans sa fuite en se retournant, machinalement le miroir qu’elle tenait à la main rencontra la tête du monstre. Celui-ci poussa un cri horrible et s’enfuit. La vieille pensait que le monstre avait eu peur du miroir.
Bamalou comprit qu’il venait de trouver l’arme fatale au monstre. Il demanda le miroir et le lieu où il pourrait trouver le monstre.
- Il dort dans un trou près de la grande crevasse. Je vais t’indiquer le chemin.
L’enfant décida d’agir vite. Il partit vers la grande crevasse avec le miroir. Il voulait arriver pour le réveil du monstre.
Bamalou marcha, marcha. Bientôt il fut guidé par les ronflements de la bête. Des ronflements de plus en plus forts et qui faisaient trembler le sol, plier les arbres. Au petit matin, il atteignit la grande crevasse. Le jour se levait, et il le vit. Il vit le monstre. Bien que terrifié, Bamalou avançait. Le monstre ne le voyait pas, mais celui-ci sentit l’odeur humaine. La bête se releva dans un fracas énorme, épouvantable.
Il vit l’enfant.
Bamalou vibrait de tous ses membres, mais la peur ne l’empêcha pas d’agir. Devant le monstre qui s’avançait, il brandit le miroir.
Le monstre stoppa net. Son corps changea de couleur. Du jaune, il passa au rouge puis au violet. Ses yeux, deux globes aussi grands que deux lunes, devenaient rouge cramoisi. Tout son corps redevint rouge et la chaleur dégagée par cette couleur fit fondre sa cuirasse, explosée ses yeux. Le monstre tremblait. Brusquement il eut un soubresaut et son cœur cessa de battre. Il s’affaissa au sol qu’il crevassa un peu plus. Sa gueule énorme s’ouvrit comme pour aspirer un dernier bol d’air. Mais ce furent ses entrailles qui se vidèrent.
Bamalou stupéfait aperçut alors, au milieu des vomis, un homme, puis deux, trois… il reconnut son père et ses amis. Même la barque était intacte. Puis il vit la jeune fille et ses deux frères.
A son retour triomphal, Bamalou fut accueilli comme un héros. La vieille dame était aux anges et la surprise fut plus grande encore quand Bamalou vit sa mère ressuscitée.
Depuis le village a été reconstruit sur la terre ferme et Bamalou est souvent avec la jeune fille de la vieille dame.
Et c’est ainsi que la terre se peupla et que l’histoire des hommes commença et que cette histoire se termine.
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