ECRITURES

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LE CHEMIN DES VOLCANS

 

Nous étions un groupe de randonneurs et sur trois jours, en juillet, nous avions suivi les chemins  qui partent de Vic-sur-Cère pour différents circuits pédestres.  L’histoire du volcanisme auvergnat défilait sous nos yeux. Un guide du Parc régional des volcans nous accompagnait. Il nous présenta les différentes sortes d’éruptions volcaniques et nous montra les roches, leur composition,  ainsi que leur origine par rapport au magma. Puis il nous expliqua que Le Cantal est un grand massif volcanique, le plus grand d’Europe avec presque cinquante kilomètres de diamètre. Il s’agit d’un strato-volcan, c’est-à-dire d’un empilement de centaines de volcans de différents types dont l’édification se fit sur plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions, d’années.  Il nous parla de trois types de volcans. Dans le Massif central, les trois types ont coexisté en même temps ou séparément ;  la croûte terrestre est bien plus mince que dans les régions alentour, donc plus facile à percer. De plus, il s’agit d’une zone anormalement chaude en sous-sol. Notre guide nous suggéra que l’hypothèse d’une reprise  de l’activité volcanique, un jour ou l’autre, était probable ! Par le principe d’Archimède, le magma a tendance à remonter à la surface terrestre, là où l’écorce est moindre.

 

Le soir venu, après le repas pris dans la ferme auberge attenant au gîte d’étape où nous logions, je m’endormis épuisé par la fatigue de cette randonnée. Il faut  dire que le dénivelé était  exténuant. La sérénité du site incitait au repos.

Soudain, cette quiétude fut rompue, brutalement, par un roulement sourd. D’abord lointain, puis se rapprochant, comme le tonnerre dans le ciel ! Mais là, le vacarme provenait du sol. Il s’amplifiait, devenait assourdissant, menaçant. Il avançait dans les profondeurs de la terre. C’était un tremblement de terre !

J’en avais vécu déjà un ou deux quand j’étais adolescent, en Anjou. Dans le Massif armoricain, les secousses telluriques sont fréquentes. Elles sont souvent de force faible. Mais ici, la magnitude semblait élevée. Lorsque le grondement passa sous mon lit je sentis, terrorisé, les vibrations. Le lit bougea de plusieurs centimètres comme bousculé par un colosse. Une chaise tomba. J’entendis un chien hurler à la mort, et les poules de la ferme voisine, agitées, se mirent à caqueter en pleine nuit, complètement désemparées !

Puis le roulement s’estompa dans le lointain, comme un raz-de-marée qui se retire après avoir frappé les terres. Le calme qui suivit fut pesant. Les gens, les bêtes, retenaient leur souffle, étonnés d’être encore en vie. Il fallut du temps pour que tout rentrât dans l’ordre.

Déjà, les animaux s’apaisaient. Des lampes s’allumaient dans les fermes, les hameaux. Les gens allaient aux nouvelles chez le voisin, vérifiaient les dégâts éventuels, rassuraient les animaux et discutaient entre eux du phénomène avant de se recoucher.

Je replongeai dans le sommeil ainsi que tout un chacun. La nuit retrouva sa tranquillité.

C’est alors que, dans le silence revenu, il y eut comme un coup de tonnerre,

un bruit épouvantable. Non ! Ce n’était pas l’orage. On aurait dit une salve de canon. Mais quelque chose de gigantesque. À nouveau, tout le sol vibra, d’une violence sans commune mesure avec le tremblement de terre précédent. Je fus abasourdi, oppressé. La nuit s’éclaira, devint rouge écarlate. Je me précipitais dehors à la fois curieux et très inquiet.

Je vis alors un spectacle titanesque. La montagne explosait comme sous la pression d’explosifs. De son sommet montait des flammes. Elle vomissait ses entrailles.

Je vivais une éruption volcanique !

Ce qu’Haroun Tazieff avait prédit se réalisait. Les volcans d’Auvergne n’étaient pas éteints. Ils explosaient sous mes yeux ! Ils se réveillaient certainement du fait du tremblement de terre qui avait dû bouger les plaques tectoniques, libérant par-là le magma du manteau.

Le flot de lave incandescente coulait inexorablement vers la Cère, vers l’auberge où je logeais !

J’étais tétanisé par la scène dantesque. Les déflagrations se succédaient et des pierres en fusion étaient projetées un peu partout.

C’était un feu d’artifice géant, déchaîné. La chaleur devenait insupportable, ardente. Ma gorge s’asséchait, mes yeux se dessillaient de ne pouvoir se détacher de cette vision.

Il fallait fuir pourtant car la lave ne serait pas arrêtée par la rivière, et les bombes volcaniques tombaient autour de moi. Mes jambes  refusaient de bouger. Mon corps était bloqué, paralysé par la peur, cette peur ancestrale qu’avaient dû connaître les hommes préhistoriques aux premiers temps de l’humanité ! Je finis par m’éloigner du bâtiment.

Soudain, celui-ci se fissura. La terre se crevassa à mes pieds. Comme un château de cartes soufflé par un courant d’air, le gîte d’étape s’effondra. Il ne restait plus, de cette construction en basalte et au toit de lauzes, qu’un amas de pierre !

J’allais mourir, je le pressentais. Que pouvais-je faire devant la colère de la terre ?

Mes poumons grillaient. Un nuage de cendres noires masqua l’incandescence des feux volcaniques. Des torrents de lave d’un rouge étincelant, descendaient les collines, tranquillement, puissamment. Rien ne stoppait ce bulldozer de lave rouge et flamboyante ! On aurait dit que la terre se vidait de son sang comme une artère ouverte. Les forêts se consumaient en un brasier géant. Des boules de feu zébraient la nuit.

 Les volcans avaient créé la vie sur terre, ils allaient la reprendre !

À ce moment-là, allez savoir pourquoi, je me souvins de mes fouilles archéologiques près du Puy-en-Velay, à Soleihac exactement. Là était le plus vieux site humain d’Europe. Une présence humaine de près d’un million d’années conservée et protégée par les cendres d’une éruption volcanique…

Allions-nous, à notre tour, être fossilisés comme à Pompéi ?

Et dans combien de siècles de futurs archéologues se pencheraient sur nos vestiges, protégés par les cendres, pour comprendre notre vie ?

J’aurais dû être content de ce qui m’arrivait. J’ai toujours voulu voir une éruption pour de vrai ! Il y a longtemps, j’avais projeté de voir les volcans d’Italie, alors en activité, ou celui de l’île de la Réunion.

Le souvenir de mon service militaire me revenait. Je l’avais effectué en Martinique. Je me remémorais la montagne Pelée et  la ville martyre de Saint Pierre.

Mais j’étais aujourd’hui plongé dans la fournaise, en plein cœur du cratère en éruption. Tout autour de moi, l’enfer se déchaînait. Tout se calcinait, s’effondrait. Le bruit était insupportable.

Soudain, une pierre embrasée tomba à côté de moi en frôlant mon bras gauche. Je hurlais de saisissement et par l’intensité de la brûlure que je ressentis.

Mon hurlement de terreur fut tel qu’il domina le vacarme et me réveilla…

La lumière était allumée dans le dortoir et mes compagnons de nuitée me regardaient abasourdis.

J’étais en transe mais vivant. Le gîte était debout. Pas l’ombre d’une éruption volcanique.

«  Tu as du faire un sacré cauchemar, mon vieux, me dit un randonneur. Tu étais agité comme un volcan en fusion. Tu as fait bouger le lit comme l’aurait fait un tremblement de terre » 

Il ne peut pas mieux dire, pensais-je au fond de moi.

« Puisque tu es réveillé, viens donc voir le feu d’artifice du quatorze juillet, me dirent-ils, c’est beau. Il est tiré de la montagne, on dirait un volcan en activité »

Je balbutiai quelques excuses et me recouchai heureux d’être encore vivant. Mais, cette nuit-là, je ne me rendormis pas, je restai éveillé, au cas où…

 . 



13/06/2008
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