LE MECHANT JARDINIER
Il était une foi dans un petit village près des bords de la Loire à coté d’une grande forêt et d’un vieux château, un jardinier qui s’occupait des fleurs et des légumes. Ce jardinier était un drôle de bonhomme.
Méchant, acariâtre, ses yeux jetaient des éclairs aux passants. Ses pieds bottés foulaient sans ménagement les plates bandes, écrasaient les laitues, les tulipes. Ses mains grosses comme des battoirs serraient sans ménagement tout ce qui passait à sa portée.
Non seulement le jardinier était violent, méchant mais en plus il était laid et faisait peur à tous les voisins !
On s’écartait sur son passage, on baissait les yeux, on changeait de trottoir, les femmes voilaient leur visage.
On murmurait qu’il était né dans le vieux château, là-bas près de la forêt, qu’une fée en colère un jour l’avait jeté hors du château pour sa méchanceté. On disait même qu’il était le sorcier des noirceurs, que partout ou il passait les ténèbres envahissaient le lieu. Il semait le froid et l’effroi. Les anciens disaient que seul sa mort redonnerait la lumière, la joie de vivre aux alentours. Oui mais voilà, le bonhomme paraissait fort solide et puis il était sorcier !
Dans le jardin on n’en menait pas large !
Les poireaux chancelaient au son de sa grosse voix. Les laitues se refermaient à son passage. Les cornichons se cachaient sous terre. Les radis s’enfonçaient encore plus profond. Les pommes de terre faisaient le dos rond, les tomates et les fraises devenaient toute rouge devant les propos orduriers du malotru.
L’homme avait un chien qui pleurait, gémissait, se cachait sous la table de la cuisine devant les coups que lui donnaient son terrible maître.
Il avait eu une femme. Mais elle était partie. C’est du moins ce qu’avait affirmé le bonhomme à ses voisins. Ceux-ci n’avaient pas été plus loin. La brutalité du mari envers sa femme était connue de tous. Les gendarmes n’avaient pas enquêtés. Ils ne croyaient pas aux histoires de sorciers ni aux racontars du voisinage.
Mais les légumes, les fleurs, les fruits savaient la vérité. Mais allez donc demander aux gendarmes d’interroger des fleurs, de mettre en garde à vue des fruits, d’embarquer manu militari des légumes ? Pourtant ils avaient des paniers à salade !
Fleurs, fruits et légumes avaient été les témoins car un jour ils entendirent des cris, des hurlements. Ils avaient vu le terrible jardinier creuser un grand trou près des buissons d’églantines. Puis y traîner la femme et reboucher le trou.
Depuis ce jour maudit, les églantines ne fleurissaient plus et dépérissaient de saison en saison.
Quand aujourd’hui l’homme sorti de la maison sous une pluie battante, il affichait un air antipathique. Il tenait à la main gauche un sécateur et à sa droite un grand couteau.
Tous – légumes, fruits, fleurs – comprirent que leur dernière heure était venue.
Il ricanait, il bavait. Sa bouche s’ouvrait montrant des dents jaunies par le tabac et des trous d’où s’écoulait la salive. Une odeur d’alcool sortait de sa gorge. Il titubait tout en hurlant, vociférant.
Dans le potager on tremblait, on se terrait, on se recroquevillait. Les fleurs refermaient leurs pétales. Les oiseaux se taisaient. Les vers fuyaient au fond de la terre. Le chien tremblait de tous ses poils, claquait de ses crocs. Les escargots fuyaient à toute allure.
Il gesticulait, crachait, vomissait des cris tout en faisant de grandes enjambées.
Soudain, sur une pierre ardoise mouillée il glissa. Dans sa chute, il tomba en avant et s’empala sur son grand couteau et sur le sécateur. Il poussa un cri strident, réclama de l’aide, implorait, demandait pardon.
En écho il n’eut que le rire des salades, le ricanement des poireaux, le piaillement des merles moqueurs, le gloussement des escargots. Il poussa un dernier cri avant de mourir dans une mare de sang.
Dans le silence qui suivi, une voix cristalline s’éleva du sol près des buissons d’églantines.
C’était la femme du jardinier qui chantait du profond de sa tombe.
Aussitôt, on vit le chien se précipiter, gratter, écarter la terre sous les églantiers. Une main sortie, puis l’autre, puis la tête et le corps de la femme qui souriait. Elle se secoua, caressa son chien puis se mit à danser.
La prophétie que l’on murmurait au village se réalisait. Le sorcier noirceur qui semait les ténèbres venait de mourir et la lumière fut. Dans le village on retrouva le sourire. Le soleil se mit à briller sur le jardin et les nuages gris s’enfuirent derrière la forêt.
Alors ce fut la fête, un grand charivari. Les fleurs s’ouvrirent en colorant leurs pétales des couleurs de l’arc-en-ciel. Les salades et les poireaux s’embrassèrent et se mirent à danser. Les escargots bavaient de joie en sautant dans les allées. Les oiseaux entonnèrent des chants d’amour
Et c’est ainsi que dans ce coin de paradis quelque part près des bords de la Loire que ce potager s’appelle désormais le Jardin d’éden.
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