LE TROU DE SOURIS
Je me souviens de ce qu’un jour me raconta ma grand-mère paternelle. Bien que ma mémoire me fasse des tours, cette histoire a marqué mon enfance ainsi que mon âme romantique. Je la garde au fond de moi comme un souvenir des jours heureux caché dans un tiroir. Vous savez ces souvenirs que l’on ressort de temps à autre avec nostalgie et la larme à l’œil. Alors, pour vous, exceptionnellement j’ai ouvert le tiroir au passé.
C’était un mardi rouge du mois de mars. Pourquoi un mardi rouge ? Tout simplement parce que ce jour là, chez nous au pays de l’ardoise, en Anjou, la grève générale épousait la rue. Les mineurs depuis quelques semaines protestaient contre la réduction d’effectif. Aujourd’hui toute la ville débrayait : les mines, les écoles, les commerçants… Bref l’école communale fermée, je restais avec mes grands-parents. Le printemps habillait les arbres de bourgeons et tapissait de jaune les près et les forêts. Nous étions, grand-mère et moi, près de la cheminée. Rugissait dans l’âtre, comme un fauve dans son antre, le feu qui réchauffait nos corps et dessinaient de ses flammes mouvantes, dans la pièce sombre, des images fantasmagoriques qui se projetaient sur les murs. La froidure et l’humidité perduraient dans ce début de saison. Messire hiver tardait à prendre congé de notre hémisphère et prolongeait sa présence.
Mère-grand assise sur une chaise, un foulard sur les cheveux, couvait de son regard le café qui passait dans la chaussette de coton et qui tombait goutte à goutte dans la cafetière bleue en émail posée sur la cuisinière de fonte. C’était le café du matin, celui dont elle moulait les grains à huit heures tapantes dans le broyeur d’un moulin manuel. J’ai, dans l’oreille, le son du grincement des grains sur l’acier du broyeur. Quelquefois je tournais la manivelle afin de moudre les grains, le moulin coincé entre mes jambes. Je me rappelle encore de la force qu’il fallait pour broyer les grains ! Elle rajoutait de l’eau au fur et à mesure de sa consommation, si bien que le breuvage s’éclaircissait au fil des heures. Je garde, sur une étagère, ce moulin ancien de marque Peugeot, patiné par les mains noueuses de ma grand-mère. Son tiroir au café moulu se bloque un peu mais qu’importe, par sa présence c’est un peu la photographie de Grand-mère qui me regarde.
A l’époque de l’histoire que je vais vous narrez, j’avais 12 ans et j’adorais les histoires et les contes comme celle du Petit Prince. Sur le rebord de l’unique fenêtre donnant sur la rue, dormait un chat noir. Nous n’avions pas la télévision, ni même la radio. La fenêtre était l’unique ouverture sur le monde extérieur. On ne peut aujourd’hui imaginer le rôle social des fenêtres d’antan. Grand-mère, aux beaux jours, y passait le plus clair de ses après-midi. C’était un endroit convivial où chaque passant, voisin s’arrêtait pour se prêter à la conversation. De nos jours, les fenêtres n’ont plus qu’une fonction d’aération, de donner de la clarté dans les pièces. Elles ont perdu leur rôle essentiel, celui d’ouverture vers l’autre.
Grand-père assis dans un fauteuil lisait l’Humanité tout en pestant contre le pouvoir, l’état et les bourgeois. Je crois que, moi aussi, j’ai gardé cette même haine à l’égard de ceux qui nous exploitent. Un chien loup somnolait à ses pieds. Ce chien Moulouque était mon compagnon d’évasion, de jeux.
« Un jour, commença à raconter grand-mère, petite enfant dans mon village natal dans les Cévennes, on m’envoya ramasser des châtaignes. J’avais pénétrer sans trop faire attention dans la forêt sombre et épaisse qui entourait notre village. J’avais ton âge et tout en ramassant dans mon panier d’osier les châtaignes, je m’égarais sous les buissons, les taillis, les grands arbres.
À cet instant grand-mère arrêta l’histoire et se versa une tasse de café ! J’étais très inquiet, qu’est-ce qu’il avait bien pu se passer et arriver à grand-mère dans cette forêt ? J’eus des visions de loups. J’eus peur rétrospectivement pour ma grand-mère. Je la voyais du haut de ses 12 ans cherchée sa route, cernée de bêtes sauvages, loin de son village, des siens. Lorsqu’elle reprit je tremblais d’inquiétude.
« Quand je pris conscience d’avoir fait fausse route, je fus pris d’une grande frayeur. Le chemin qui menait au village avait disparu. J’étais au milieu d’une sorte de clairière que je ne connaissais pas. Plus de sentier et voilà que la nuit commençait à descendre sur les arbres. Un silence angoissant semblait remplacer le chant des oiseaux, le frôlement des feuilles poussées par le vent. Il me fallait trouver un refuge ou le sentier du retour. Je fis le tour de la clairière. Je cherchais une piste, une allée. Rien ! Apeurée, je m’assis sur un tronc et pleurais.
Je dois vous avouer qu’à cette minute du récit, le gamin que j’étais, se mit à pleurer. Je me réfugiais dans les bras de grand-mère qui m’assit sur ses genoux tout en me consolant.
« Calme tes pleurs mon garçon, tu vois bien que j’ai été sauvé puisque je suis avec toi ! » La phrase me rassura.
- Tu devrais éviter ce genre d’histoire, dit grand-père, tu vois bien que cela fait du chagrin au petit.
- Tais-toi donc et lis ton journal, répliqua sèchement grand-mère.
Grand-père se tint silencieux et mémé repris son histoire.
« Quand j’eu fini de verser mes larmes, je décidais d’avancer dans la forêt là ou les arbres étaient moins denses. Je marchais rapidement mon panier plein de châtaignes à la main. Les ronces griffaient mes jambes et les branches des arbres giflaient mes joues. Soudain j’entendis un grand craquement à quelques mètres de moi. Je me figeais, angoissée. C’est alors que surgit dans un élan dévastateur un énorme cerf affolé de ma présence et qui s’enfuyait détruisant tout sur son passage. Je continuais ma route sans savoir ou elle menait. Mes pieds me faisaient souffrir. Tout mon corps fatigué réclamait une pause. Mais la peur aux entrailles m’obligeait à marcher. Brusquement j’aperçus une piste. Je m’y jetais comme un naufragé sur une planche. Au bout d’une éternité, vacillant sur mes jambes, à deux doigts d’abandonné, je vis au loin une cabane. Cette vision me redonna confiance et force. J’arrivais près de la cabane construite en pierres sèches. Une porte bloquait l’entrée, mais elle n’était pas fermée à clé. La cabane paraissait abandonnée néanmoins je frappais et demandais s’il y avait quelqu’un. Personne ne répondit. Je poussais la porte et j’entrais. La cabane était délabrée. Une paillasse dans un coin, un tabouret, une table pour tout mobilier. Ce n’était pas folichon mais au moins je serais à l’abri sous le toit et puis j’avais mes châtaignes pour calmer ma faim. Je pourrais ainsi passer la nuit, attendre les secours. Je n’avais pas d’allumettes et à l’époque les lampes de poche n’existaient pas. L’obscurité commençait à recouvrir la forêt emmenant avec elle mon angoisse, une peur viscérale. Je n’en menais pas large et poussée par la crainte je barricadais la porte avec la table branlante. Déjà au dehors on entendait le ululement des hiboux, les derniers cris des oiseaux diurnes. Le vent soufflait dans les arbres. Les bruits hantaient la forêt et prenaient la nuit une résonnance particulière. Mon cœur battait fort et dans la tête de petite fille que j’étais des images de loups féroces, de sorcières et de méchants bonhommes commençaient à danser leur ronde macabre. Dehors j’entendais des frôlements, des piétinements. J’avais froid. J’avais peur. »
Moi aussi, assis sur les genoux de grand-mère, j’avais peur car je connaissais des méchantes sorcières qui transforment les enfants en objet, en animal. Ah si seulement grand-mère avait rencontré une fée bienfaisante, mais elles se faisaient rares dans les forêts. L’épouvante avait pénétré mon cœur d’enfant et je languissais de connaître la suite et le dénouement de l’histoire. C’est à ce moment que Grand-père reprit la parole :
- Enfin Augustine tu sais bien que les sorcières n’existent pas !
Augustine était le prénom de ma grand-mère qui répliqua sur le chant :
- Que sais-tu des sorcières toi qui lit l’Humanité, un journal sans foi et révolutionnaire. Tu ferais mieux d’aller travailler au jardin, dit-elle d’une voix tonitruante et sans appel.
L’échange de mots particulièrement forts avait réveillé le chat et fait sursauter le chien. Grand-père plia son journal et prit la porte suivi du chat et du chien. Bien que farouche communiste, mon grand-père marchait droit devant sa femme tout en ronchonnant et bougonnant il sortit. Nous nous retrouvâmes, grand-mère et moi, entre personnes croyant aux sorcières. J’en profitais pour regagner ma place près de la cheminée. Elle reprit sa narration :
« Dans la cabane sombre je priais le premier dieu qui passait dans ma tête et l’implorais de me venir en aide. C’était la première fois que je me retrouvais seule dans une maison vide et obscure. Malgré cela je fis face à la situation. J’étais dégourdi et puis en ce temps là les enfants devenaient vite grands. Nous étions dans la famille habitués aux difficultés, aux privations. Mon père était mineur de charbon et ma mère s’occupait des enfants, de la maison, du jardin. Nos repas se résumaient souvent à un bol de soupe et une assiettée de châtaignes. Nous n’avions pas d’électricité. La fée E.D.F. ne viendrait que tardivement dans les Cévennes. L’école passait après l’aide aux parents et les corvées de charbons, de bois, de châtaignes. Je pris donc mon courage à deux mains et assis sur le tabouret j’attendais. Entre attente et espoir je somnolais tout en prêtant une oreille attentive aux bruits extérieurs. Le vent se déchainait et la pluie frappait les feuilles et le sol. D’instinct je savais que mon sommeil serait aléatoire cette nuit. Des images passaient dans ma tête et j’entendais les conseils des anciens aux veillées : « méfiez-vous les enfants, les loups rodent encore dans les massifs et les bois et puis, la nuit, des farfadets et des lutins prennent possession des forêts. Je crois qu’à l’évocation des lutins un cauchemar entra dans ma somnolence sous la forme d’un esprit difforme et monstrueux qui me poursuivait. Je poussais un cri et sursautais. Mon corps suait de tous ses pores. C’est alors que j’entendis un frottement dans la cabane. Affolée je scrutais la pénombre et je vis deux yeux qui me regardaient ».
Grand-mère fit un arrêt café, reversa de l’eau dans le bas de la cafetière, s’essuya la bouche d’un revers de manche et se rassit. J’étais tout ouï et j’attendais la suite avec une certaine inquiétude. A qui appartenaient les yeux ? A un lutin malfaisant, une bête féroce ?
« Les yeux me fixaient, se délectaient par avance comme un fauve tourne autour de sa proie avant de jouer avec, la déchiqueter et la manger. Paniquée sur le tabouret, je n’en menais pas large. Les yeux semblaient immobiles. Ils me fascinaient, ils m’hypnotisaient ! Oui c’était ça, les yeux qui me scrutaient avaient pour fonction de m’endormir, m’empêcher de réagir, de fuir, de hurler. J’étais pareil à l’insecte englué dans la toile d’araignée et qui se débat en vain devant la venue de la tarentule ! Je poussais un hurlement terrible à la mesure de mon effroi. Rien n’y fit, la bête s’approchait tranquillement certaine de son repas. Sa gueule ressemblait à un gouffre entouré de montagnes acérées. Ses pattes de devant se saisirent de moi et m’entraînèrent vers son repaire. Mais l’ouverture de son antre était trop étroite pour que je puisse y pénétrer. Je hurlais, je me débattais, je griffais, je mordais quand soudain j’entendis un fracas. Je m’étais affalée sur le sol de terre battue de la cabane, j’étais tombée pendant mon rêve du tabouret. Car c’était un rêve que ce cauchemar et en guise de bête féroce je n’avais vu qu’une souris ! Tu te rends compte mon garçon j’avais cru pouvoir rentrer dans le trou d’une souris ! »
Grand-mère la voix prise, enrouée s’arrêta de parler. J’en profitais pour reprendre mon souffle, car moi aussi j’avais cru au récit et mon visage devait être pâle.
A nouveau reposée, grand-mère continua son récit :
« En chutant, ma tête heurta une pierre et je saignais mais ce n’était rien par rapport à la peur que j’avais eu. Je remis d’aplomb le tabouret et me rassis. Que pouvais-je faire d’autre, hormis attendre ? J’attendais donc en luttant contre le sommeil, je ne tenais pas à avoir un nouveau cauchemar. La nuit enveloppa la cabane. Les heures avançaient. Je n’avais pas de montre, alors je comptais de temps en temps les secondes qui devenaient minutes puis heures. Brusquement je crus percevoir un bruit de branchages. Un aboiement retentit tout près, des pattes remuaient les feuilles. Un loup rodait autour de la cabane. Il avait dû sentir mon odeur. Il reniflait et devait se lécher les babines avec délectation. Une terreur fit trembler mon corps, pourtant j’avais bloquée la porte et le loup ne pouvait pénétrer. Mais le seul nom évocateur de cet animal glace d’effroi les humains, alors tu penses bien une petite fille. Le loup se jeta sur la porte, la racla de ses pattes et de son mufle. Je hurlais de nouveau. Un cri répondit à mon hurlement et soudain des paroles d’hommes surgirent dans la nuit : Petite, Augustine où es-tu ? Je sautais de mon tabouret et poussais un cri de joie. C’était les hommes de mon village qui venaient à ma recherche ! Je tirais la table et ouvrais la porte. Un chien se jeta sur moi et me lécha les joues séchant mes pleurs. Le chien que j’avais pris pour un loup était celui d’un voisin de mes parents. Il me connaissait bien car je l’emmenais souvent avec moi pour jouer ! Plusieurs hommes du village, dont mon père, avec des lampes de mineurs me dévisageaient. Je n’ai j’avais rien dis de mes mésaventures aux gens du village, ils se seraient moqués de moi. Tu es la première personne à qui je raconte cette histoire qui est aussi un secret»
Pendant longtemps moi aussi le petit garçon que j’étais, après cette histoire, j’ai eu des cauchemars. C’était toujours le même. Une grosse souris voulait me capturer et m’emporter vers son trou. Heureusement mon chat arrivait à temps pour s’occuper de la souris. J’ai gardé le secret de Grand-mère. Maintenant qu’elle n’est plus de ce monde je me suis autorisé de vous le racontez.
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