ECRITURES

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LA NOUVELLE

Je me rends souvent, depuis plusieurs années  déjà,  dans un restaurant asiatique. Un restau rapide dans une rue passagère près de la gare Saint Lazare, le quartier où je travaille. Il n’a rien d’extraordinaire ce restaurant hormis ses prix ! Je déjeune pour 5 E en général et je choisis presque toujours le même menu, à savoir : poulet à la citronnelle ou bœuf aux oignons et du riz blanc. Toujours du riz nature car j’ai horreur du riz cantonais dont on ne connaît pas trop la composition !

Il est petit ce restaurant, une dizaine de tables et de chaises disposées dans une sorte de couloir qui donne dans la rue Joubert. Le serveur  sympathique  parle toujours et avec un accent difficile à comprendre au premier abord. Pour éviter toutes répétitions qu’il pourrait mal prendre, je lui réponds systématiquement par oui, en opinant de la tête. Il semble content de mon acquiescement puisqu’il sourit en permanence et continue à jacasser.

Ma sélection du repas, ordinairement la même, le fait rigoler. Que peut-il bien imaginer dans ce choix restrictif ?

Tout un monde populaire vient se sustenter à l’heure de la coupure du midi : des vendeuses des grands magasins du boulevard Haussmann, des employés de divers services et quelques prostituées qui besognent sur le trottoir de la rue Joubert en proposant leurs charmes. Il doit venir aussi quelques-uns uns de leurs clients…

Un monde hétéroclite et cosmopolite qui se retrouve face à la nourriture chinoise et ses étranges baguettes en guise de fourchettes.

En plus du serveur, il y a une femme asiatique, elle aussi, à l’accueil. Une femme d’âge mûr, un peu enrobée qui  ne rigole pas et ne parle pas notre langue. Cette matrone chinoise semble un peu revêche et me regarde invariablement avec un œil curieux, pas franchement aimable. Ma figure ne doit pas lui plaire ou alors les notes que j’écris sur mon carnet l’intriguent. Faut dire qu’entre deux bouchées de riz, j’annote mon calepin de tout ce qui me passe dans la tête. Comme j’ai le cerveau qui bouillonne, je n’arrête pas de griffonner des notes. Elle doit me trouver bizarre cette chinoise. Peut être que dans son pays personne n’écrit !

J’ai mes habitudes immuables dans ce restaurant. Tout d’abord le même menu,  la même table, les mêmes horaires ! Le train-train du quotidien en somme. Pourtant un jour cette routine fut perturbée. Elle laissera en moi un moment délicieux de bouleversements dans ma vie terne et prévisible. Ce changement prit l’aspect d’une nouvelle serveuse. Bien sûr c’était encore une asiatique, mais jeune et charmante. Elle devait venir d’un pays lointain. D’Asie sûrement, mais pour une asiatique c’est normal ! Simplement on pense qu’ils sont chinois alors qu’ils peuvent être originaires du Vietnam, du Cambodge… Comment faire la différence ?

Pour moi le problème de connaître son origine ne me perturbait pas. Elle était mignonne, c’est tout. Elle baragouinait notre langue laborieusement et souriait toujours elle aussi. Ce doit être une habitude de rire dans leurs pays. Une façon peut-être de compenser, d’accepter leur condition. J’aurai bien aimé me balader dans ces pays lointains comme le firent Malraux, Hougron, Duras et tant d’autres écrivains. Je laissai aller mon imaginaire sur les routes de Chine, d’Indochine. Je me voyais voyageant avec Marco Polo dans sa pérégrination vers l‘Empire du Milieu...

Son visage en ovale présentait deux yeux bleus en amandes et ses lèvres légèrement colorées de rouge laissaient entrevoir une langue qui s’agitait en permanence afin d’articuler les sons du français. Une queue de cheval lui tombait sur les reins, ses cheveux noirs étaient attachés avec un chouchou bleu. Petite et bien proportionnée, elle ne laissait aucun client indifférent. Même les clientes semblaient gênées par sa beauté, son aisance, ses sourires…

A partir de ce jour sa présence bouleversa mes habitudes. Je vins plus souvent déjeuner dans ce lieu. Je restais plus longtemps et comble de mon émoi je pris un jour du riz cantonnais !

Ce trouble fit sourire un peu plus le serveur. Un sourire ironique me sembla t-il.

- vous commencez à aimer la cuisine chinoise, me dit-il avec difficulté tout en rigolant.

Au fond c’était plus la petite chinoise que j’aimais. Sa beauté m’aurait fait avaler n’importe quel plat !

Le serveur ne l’avait pas compris, il pensait que je variais mes plats. Brave garçon !

Mon dieu ! Quand elle gesticulait pour préparer les commandes, son corps me charmait. Sa queue de cheval qui virevoltait à chacun de ses gestes captait mon regard. Lorsqu’elle s’approchait de moi m’offrant et son sourire et la vision de ses seins naissants sous un corsage peu sage, alors mon visage s’empourprait. Je défaillais tout en avalant les aliments pour ne pas paraître stupide.

Ce furent des instants magiques.

- C’est une de mes cousines, m’informa un jour le serveur. Je sus aussi que mes chinois venaient du Vietnam, cette ancienne colonie française qui avait tant souffert sous notre joug et celui des U.S.A, mais qu‘ils étaient originaires de Chine.  Elle s’appelait Huang. En regardant Internet j’appris que ce prénom chinois signifiait : lumineux.  Lumineux, lumière comme ce mot allait bien à cette jeune fille. Elle était lumière et j’en étais ébloui !

Quel joli prénom  dis-je ! Je me voyais déjà au bras de Huang déambulant dans les rues sous les regards envieux. Je lui ferais découvrir Paris, son nouveau pays et le soir nous ferions l’amour. Paris la capitale lumière et Huang, la lumière faite femme quel merveilleux présage. Je rêvais tout éveillé et je souriais à l’idée de nos corps enlacés.

Le serveur aussi riait sans savoir pourquoi, de me voir heureux sans doute. Brave garçon qui prenait la vie avec philosophie et riait de chaque chose.

Parfois les deux serveuses tenaient un conciliabule dans leur langue en me jetant des regards. Regard courroucé de la dame et souriant de la jeune serveuse. La serveuse âgée avait compris que j’éprouvais du béguin pour sa collègue. Que pouvait-elle murmurer à l’oreille de cette dernière ?

J’espère qu’elle n’est pas jalouse cette triste mégère !

Mon corps rajeunissait et mon âme devenait bucolique. J’étais amoureux. J’en rêvais la nuit, le jour, partout. La folie amoureuse gagnait mon moi.

Un soir après plusieurs rasades de vin rosé,  je me jurais de lui déclarer ma flamme dès le lendemain.

La nuit fut longue avant l’aurore. J’avais cogité ma déclaration, préparé un texte et même écrit un poème classique où il était question d‘Indochine, de Grande Muraille...

J’avais récité  ma déclaration et mon poème devant le tain du miroir, dans la salle de bain. J’étais prêt. Rien ne pouvait désormais me stopper. J’avais le sentiment d’être un autre, intrépide et sûr de moi. Je me sentais insubmersible.

Ce matin là, fébrile je me préparais à la hâte comme à un rendez-vous fixé à une heure précise. Mon heure était celle de midi. Nous étions samedi et je ne travaillai pas. Qu’importe le menu, le riz cantonnais et autres plats étranges. Non ! Je serais là pour elle. Pour cette asiatique, son sourire, sa queue de cheval…

Je lui dirai…car elle me demanderait en zozotant un français difficile, ce que je j’aimerai manger. Alors la regardant droit dans les yeux, tout en épiant son corsage :

- c’est vous que je veux, voulez-vous m’épouser ?

C’est direct comme style, je vous l’accorde mais pourquoi tourner autour de la chose alors qu’elle parle difficilement ma langue et que je ne connais aucun mot de la sienne ? Je le pressentais, cette fille aimerait ma déclaration franche. Elle tomberait en pâmoison à la lecture du poème. Sa personnalité, depuis que je l’observais, me paraissait naturelle, sans arrière pensée, simple. Et, j’en étais persuadé, mine de rien elle aussi m’observait à la dérobée. Quand elle passait à côté de moi, elle me frôlait volontairement j’en étais sûr. Son parfum, odeur de jasmin, m’enveloppait. Un jour elle posa une main sur mon avant bras. La chaleur de cette main électrisa mon corps et mon sexe. Elle l’avait fait exprès avec son sourire comme un geste d’appel.

Oui ! Elle me dirait oui et nous partirions tous deux vers d’autres chinoiseries…

Le serveur deviendrait une sorte de cousin et qu’importe la langue, le pays puisque nous sommes tous frères.

Lorsque j’arrivai au restau avec une demi-heure d‘avance sur mon habitude, mes jambes flageolaient, mon cœur tapait fort dans sa cage. J’étais fébrile. Je poussais la porte. Le serveur me fit un grand sourire :

- vous êtes en avance aujourd’hui, dit-il en bredouillant, asseyez-vous. Je vous prépare du poulet à la citronnelle et du riz blanc ?

Sa question devait être pour lui sans réponse. Il me tourna le dos et s’affaira à préparer mon poulet à la citronnelle et le riz blanc que je n’avais pas commandé. La vieille pie était là qui m’observait avec ses yeux menaçants, féroces.

Je m’assis à la table habituelle. La petite chinoise n’était pas là. Peut-être officiait-elle à la cuisine ou était-elle absente ce jour ?

J’attendais. Je priais le ciel pour la voir surgir. Elle ne vint pas.

Le serveur m’apporta mon plat brûlant.

-vous êtes mon premier client.

J’osais. Je me lançais :

- et votre cousine, la serveuse, elle n’est pas là aujourd’hui ?

Non, Huang ne viendra pas.

Il me regarda tout sourire, heureux, sans soucis, sans deviner. Une bonne nature que ce chinois. Mais il n’apportait pas de réponse à ma question.

- c’est son jour de congé lui demandais-je ?

- non me dit-il en s’esclaffant d’avantage en me tapant l‘épaule. C’était la première fois que le serveur se permettait un tel geste familier. Sa gaieté resplendissait, éclairait son visage.

- Huang est reparti en Chine pour épouser un garçon de son village. C’est un grand moment, une grande joie et la fête là-bas !

Dès cet instant mon cœur s’arrêta de battre. Mon sourire s’effaça. Mon rêve s’évanouie noyé dans un cauchemar monstrueux. Huang, ma future, ma promise, ma dulcinée allait se marier !

J’étais abasourdi comme un homme à qui l’on assène un violent coup. Je restais sans voix devant mon plat.

Le serveur me laissa pour s’occuper de deux clientes qui venaient d’entrer. Il était heureux le bougre de marier sa cousine lointaine. Il n’avait pas compris. Quant à la serveuse revêche qui m’épiait derrière le présentoir des plats, je vis sur son visage et pour la première fois l’esquisse d’un sourire ironique. La vieille sorcière se moquait de ma déconvenue.

Je mangeais mon poulet et le riz blanc, ravalant par la même occasion ma déclaration. Au fond de ma poche je froissais sauvagement le poème que je ne lirai plus.

Le repas me paru fade. J’aurai, ce jour, avalé n’importe quoi. J’étais déçu. Ce n’est pas moi qu’elle aimait mais un autre dans son pays lointain. Je m’étais trompé sur son comportement. J’avais cru au Père Noël. Je mesurais ma naïveté.

C’est sûr je reviendrai moins souvent dans ce restau. Je ne tenais pas à me retrouver en tête-à-tête avec l’autre serveuse, la méchante chinoise.

D’ailleurs j’avais remarqué depuis quelques temps un autre self dans la même rue. Il était tenu par des turcs et j’avais aperçu une jolie serveuse au sourire éclatant, à la poitrine généreuse. Un jour que je l’avais frôlé, j’avais senti l’odeur orientale du produit dont elle se parfumait et la chaleur de son corps svelte. Un midi j’avais mangé dans ce restaurant petit, étroit. Le serveur m’avait dit que c’était une de ces cousines et qu’elle se nommait : Melis. En cherchant sur un livre des prénoms, j’avais trouvé la traduction de ce dernier : Melis, fleur de citronnelle… Je n’aurai qu’à changé quelques mots de mon poème. Je mettrai : Constantinople, l’Anatolie, Topkapi… Je sentais naître en moi l’ardeur romancière de Pierre Loti. Oui Melis serait mon Aziyadé et ma prochaine passion.

C’est décidé, désormais je mangerai un chiche kebab cela me changera de la cuisine chinoise et puis la charmante serveuse avait une queue de cheval qui…

 

 



13/06/2008
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