ECRITURES

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LE TUEUR DE LA BUTTE

 

 

L’homme regarda à gauche puis à droite. Aucun promeneur en vue, c’est le moment ou jamais, se dit-il. Sans se presser, d’un air décontracté, il avança. Depuis une semaine, il le pistait, il l’observait. L’objectif suivait le même circuit, une glace vanille au vendeur du trottoir rue Houdon, une virée par l’allée montante et la contemplation de la capitale du haut du parvis de la basilique. Aujourd’hui pas de glace à la vanille, il pleuvait sur Montmartre.

Le type regardait le panorama sans se douter de quoi que ce soit. Il ne se lassait pas du spectacle offert.

Il n’y avait personne. Pas un chat dehors eux qui d’habitude pullulaient. Les touristes restaient dans les hôtels à l’abri de la pluie qui battait le bitume de Paris.

Le type sortait invariablement à la même heure avec le même circuit. Les intempéries ne semblaient pas le toucher. Il ne s’en souciait pas. Il habit     ait boulevard de Rochechouart.

L’homme qui le surveillait avançait vers lui tranquillement. Il n’avait guère de scrupule, c’était son boulot. On l’avait payé pour cela et bien payé. Une première partie d’abord, la suite viendra après l’accomplissement du contrat. Grand, sec, cheveux coupés ras, il arborait un visage austère, sans état d’âme. Dix ans dans la Légion forment le caractère. Il avait quitté l’armée pour une meilleure rémunération.

Son travail paraissait facile. Le type ne résistera pas. La police conclura à l’accident, la faute à pas de chance. La butte est un vrai paradis pour les voyous. Les recoins pullulent, les bosquets impénétrables aussi. Toute une faune se planque à l’abri des regards de la police : des vendeurs à la sauvette de colifichets, des dealers, des SDF … Sans compter les escaliers où tu peux chuter par inadvertance, manque de pot ou grâce à une poussée intempestive. Ni vu ni connu, l’accident banal qui alimente les faits divers des journaux.

Il tâta dans une poche de sa veste de velours la liasse de billets. Ce contact le réconforta. Dès qu’il aura accompli sa mission et récupéré la deuxième partie de son salaire, il s’envolera direction le Brésil. Il en rêvait de ce pays, de ses plages, de ses filles. Ah ! Les Brésiliennes. Rien qu’en voyant les images des ondines de la plage de Copacabana, son membre se durcissait.  Il en perdait raison.  À Paris, il se contentait du tout-venant ou bien des vénales dont les corps reflétaient l’usage du plus vieux métier du monde. Il se ressaisit, repoussa les plages de Rio, des Brésiliennes lascives et alanguies au soleil. Il avait un travail à accomplir. La pluie le ramena sur la capitale. Ici pas de soleil, de filles en bikini, rien pas même un quidam. Cela le rassura. Les flics ne pourront faire de relation avec sa présence. Pas de témoin, son pas se fit plus rapide.

Le type visé se retourna brusquement. Il avait dû entendre les souliers sur le macadam. Ses souliers n’étaient pourtant pas ferrés. Comme tout bon professionnel, il s’habillait en conséquence : passer inaperçu, ne pas faire de bruit. Mais le type vivait en permanence sur le qui-vive. Des années de clandestinité vous forgent un sixième sens. Son visage afficha l’angoisse, la peur irraisonnée. Il ne pouvait s’échapper prisonnier depuis plusieurs années sur son fauteuil roulant.

L’homme, un tueur à gages, car s’en était un n’était plus qu’à trois mètres de sa future victime. Il ne savait rien du type à éliminer. Il avait seulement accepté le contrat sans rechigner. En bon salarié il obéissait à son employeur. Que lui importait que l’homme à abattre fût un handicapé ! Pour lui aucune différence, la déontologie du tueur n’existe pas dans le Code du travail. Il touchait de l’argent. Il exécutait. Les sentiments sont faits pour ceux qui réfléchissent. Lui il ne posait pas de question. Il empochait le fric.

 

Il se souvenait avec délectation de cette pute qu’il avait exécutée. Elle avait eu l’indélicatesse de  vouloir quitter son maquereau. Celui-ci décida de mettre un terme à cette insurrection qui risquait de se propager à d’autres. Il fit appel à un professionnel, en l’occurrence : lui ! Tout d’abord sous la menace d’un révolver, il l’obligea à se mettre à poil. La salope avait l’habitude, mais cette fois elle trembla, se déshabilla avec difficulté. Il la fit assoir sur une chaise puis ligota ses mains dans son dos. Elle pleurait, implorait, demandait pardon. Toutes choses dont il ignorait le sens. Du regard il chercha. Il trouva dans la cuisine l’objet qui lui convenait. Lorsqu’il revint vers la pute dans une main l’instrument, elle se mit à hurler. Il avait horreur des cris. Dans un tiroir de la cuisine, il avait repéré un rouleau adhésif qu’il alla chercher pour la bâillonner. Les hurlements  devenaient supportables. Seuls ses yeux indiquaient l’épouvante. Il se saisit de l’objet et s’approcha de sa proie. Elle gigotait, ses jambes balayaient l’espace devant elle. Elle espérait le frapper. Il bloqua une jambe, puis l’autre. Offerte, jambes écartelées, sa vulve s’ouvrait. Il enfonça la râpe à légumes dans le vagin. Yeux révulsés, la fille s’arque bouta dans un ultime sursaut de défense. Son sexe pissait le sang. Il enfonça un peu plus l’objet. La fille tomba dans les pommes. Il retourna à la cuisine. Dans le frigo il prit une bouteille de jus de fruit. Il se servit un verre qu’il nettoya ensuite. Lorsqu’il quitta la putain, une flaque de sang gisait au sol sous la chaise. Dans quelques heures elle succombera.

 

Ses mains se posèrent sur les repose-mains du fauteuil roulant. Il maitrisait l’appareil.

L’handicapé  poussa un cri. Il venait de comprendre. Son existence n’était pas celle d’un saint. Il comptait plus d’ennemis que d’amis. Retiré des affaires, il pensait que le temps avait fini par faire son œuvre. Ses ennemis avaient dû l’oublier. Il s’était trompé. Dans sa tête le film de sa vie repassait à grande vitesse. La bande du film allait bientôt s’arrêter, se déchirer.

 

Malfrat sur la Côte d’Azur, il dut s’enfuir en catastrophe. Il avait joué au con. Dans le milieu on ne marche pas sur les autres sans prendre des coups. Avec trois autres complices, ils avaient essayé de s’emparer, dans un arrondissement de Marseille, de la vente lucrative de la drogue. Une erreur qu’ils payèrent. Il restait seul rescapé de cette tentative. Ses trois comparses abattus, il mit les bouts croyant que la distance mettrait un terme à la vendetta. Il s’était fourvoyé. Ils l’avaient retrouvé et envoyé un tueur pour lui faire la peau. Dans son fauteuil roulant, il ne pouvait réagir. Depuis son accident de voiture qui l’avait rendu handicapé, il s’était définitivement retiré des affaires. Il ne possédait pas d’arme. Après tout, se dit-il, j’ai tué je vais subir le sort que j’ai infligé à d’autres. Il devenait fataliste, dans le milieu la retraite est illusoire.

 

Le tueur manipulait le fauteuil, le dirigeait au plus près des escaliers. Le type et son fauteuil dégringoleront cet escalier  vertigineux. Les secours concluront à l’accident. Il prit son temps, plaça le fauteuil bien au milieu de l’escalier. Une bonne poussée et  à lui le Brésil, ses plages, ses filles.

Le tueur eut un haut de cœur. Débouchant d’une rue adjacente et étroite trois policiers de Vigipirate se pointaient. Il arrêta son geste. Il avait failli se faire avoir en flagrant délit d’assassinat ! À quelques mètres de là, le trio de flics s’avançait. L’un d’eux se mit à discuter.

-         Bravo, monsieur, de vous occuper d’un handicapé par ce temps de chien.

D’abord inquiet, interloqué, le tueur sourit.

-         Je sors monsieur par tout temps et selon ses désirs.

L’handicapé avait retrouvé son sourire.

-         Mon ami me promène sous la pluie. J’adore ce temps, on est tranquille. N’est-ce pas Gaston ? dit-il en se retournant vers le tueur.

Celui-ci avait une envie folle d’étrangler le type, mais il y avait les flics. Le prénom « Gaston » lui déplaisait fortement. Il le considérait comme méprisant, péjoratif. Ce n’était évidemment pas le sien ! La connotation de ce prénom l’horripilait. Il lui rappelait la chanson de Nino Ferrer. Il n’aimait pas. Ses mains se crispèrent sur le fauteuil. Il fit un effort considérable pour sourire et répondre :

-         Bien sûr monsieur.

Il se surprit lui-même de s’abaisser à jouer le rôle du larbin de service. Il aurait avec plaisir étouffé le type. Il ne pouvait. Le crime serait clair. Non, son travail devait ne laisser planer aucun doute, aucune suspicion.

Depuis qu’il observait sa proie désignée, il avait décidé de culbuter le fauteuil dans les escaliers de la butte, en haut de la rue Cottrin. Là où le type venait contempler la capitale. 156 marches à dévaler, il les avait comptées. L’accident idéal qui ne laisse pas les traces d’un assassinat. L’impondérable surgissait avec cette patrouille.

-         Bonne journée messieurs repris le policier qui s’éloignait avec ses deux collègues.

À nouveau seul le tueur laissa fuser sa haine.

-         Salopard tu ne perds rien pour attendre.

Pourtant il savait qu’il ne tuerait pas le type. Les flics l’avaient vu. S’il exécutait son travail, ils feraient vite la relation. L’handicapé le devina.

-         C’est con ce qui t’arrive Gaston, tu vas perdre ton argent.

Il le narguait.

 

Un autre l’avait nargué se croyant le plus fort. Il lui avait tenu tête. Il avait eu tort. Le type, un marchand, tenait la dragée haute et refusait le racket dans sa rue. Il se prenait pour un justicier. Impensable pour le milieu qui sévissait dans la ville depuis si longtemps. Les truands protégeaient les marchands contre rémunération. La police et la justice fermaient les yeux. Il suffisait de graisser la patte à quelques-uns. Ce type revendicatif allait foutre la merde. Il fut chargé de l’éliminer de telle sorte que la peur des représailles anéantisse toute forme de velléité. Lorsqu’il pénétra dans la boutique pour une semonce, le type l’envoya sur les roses. Il obligea avec son Beretta le bijoutier à baisser le rideau. Sous la menace le vendeur dut se mettre à poil. Attaché à un poteau de soutien le type n’en menait pas large. Bâillonné, il paniquait. Dans l’arrière-boutique, le tueur dénicha un fer à repasser qu’il brancha sur une prise devant le vendeur. Celui-ci suait à grosses gouttes. Une fois la semelle à température adéquate, il plaça le fer sur les testicules du type qui tressauta violemment sous la douleur. Le tueur avait toujours eu un faible pour le travail manuel. Il passa et repassa la semelle brûlante sur les attributs du récalcitrant. Malgré le bâillon, ses cris sourds sortaient. Il hurlait. Le travail dura quelques minutes le temps nécessaire pour faire de la verge une merguez. L’homme s’évanouit. Le tueur sortit son arme et l’abattit d’une balle en pleine tête. Il remonta le rideau, sortit laissant grande ouverte la porte. La punition fut exemplaire. Il n’y eut plus de rébellion.

 

-         Regardes la vie est belle et grandiose, reprit le handicapé qui lui désignait le panorama.

Machinalement le tueur revint au temps présent. Il regarda le paysage. Ses mains avaient quitté le fauteuil.  Il ne voyait que les toits et les cheminées de la ville sous l’averse. L’image de la plage de Copacabana se superposa sur les toits de la cité. Le sable fin, le soleil, les filles nues se succédaient devant ses yeux. Il s’y voyait. Déjà ses mains caressaient les  rondeurs des fesses bronzées et bien dessinées par les strings. Soudain, il se sentit propulsé. L’handicapé venait brusquement d’effectuer une manœuvre rapide avec son fauteuil. Celui-ci percuta brutalement le tueur. Malgré une tentative désespérée, le tueur ne put s’accrocher à la rampe de l’escalier. Il effectua un terrible vol plané. Son corps dévala plusieurs marches. Sa tête heurta les pierres et se fracassa.

 

« Un type sans papier a été découvert par un riverain à l’angle des rues Albert et Cottrin. Il a chuté dans les escaliers et s’est brisé les vertèbres cervicales. Sa tête fracassée  est méconnaissable. On a retrouvé sur lui une somme d’argent rondelette »

Le Parisien du 20 juin 2016.

 

 



27/08/2017
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