ECRITURES

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MEFIE-TOI DES FILLES

Comme tous les matins partant de Nanterre pour Paris, je m’étais assis sur un strapontin d’une des rames du R.E.R. qui venait de Saint-Germain.

On a ses habitudes, son coin, ses repères, pour combler, peut-être, l’ennui du quotidien, de cette journée de boulot que l’on devine, par avance et par expérience, ennuyeuse…

J’étais donc là, songeur. Dans ma tête se faisaient, se construisaient des rimes et des vers, des rêves…

J’observais les filles qui montaient. En été, elles s’autorisent le minimum de vêtements… Le spectacle ravissait mon âme !

Des jolies filles, quelques rêves et des vers plein la tête, que pouvais-je espérer de plus  d’un mois de juillet à Paris ?

A la station  Grande-Arche de la Défense, elle est montée. Elle était belle comme les filles des revues, mais son regard semblait glacé, froid, tel le marbre des statues de nos musées. Ses yeux bleus paraissaient figés, immobiles, sans vie, comme des billes de verre. Elle portait un blouson beige, dessous une chemise en popeline de coton mauve pale qui moulait sa poitrine et faisait ressortir ses seins comme deux îles qui pointent sur une mer étale…

Mon imagination m’emportait en voyage vers ces deux îles, ces mamelons…

J’ai toujours rêvé d’îles lointaines. Les souvenirs de la Martinique, le soleil, les plages, les métisses, Fort-de-France, les Trois Ilets et ses belles créoles me revenaient en souvenir…

La mer des Antilles me caressait les pieds, le corps, de ses vagues soyeuses. Ah ! les jolies antillaises à la peau noire et douce dont les corps dévêtus offraient un avant goût de paradis…

Mais revenons en Ile de France et plus particulièrement dans le R.E.R. qui filait et à cette beauté provocante me faisant face et dont la mini jupe  dévoilait ses jambes galbées et cachait à peine son intimité. Ses pieds étaient chaussés d’une paire de Reebok.

Elle s’est placée devant moi, debout, a posé son sac de sport à ses pieds.

Elle n’était pas grande, les cheveux, auburn, coupés ras, à la garçonne, pourtant elle m’impressionnait ! Une couche légère de mascara et du fard sur les paupières donnaient à son visage un air vaporeux  Son rouge à lèvres esquissait, dessinait sa bouche et  en soulignait la forme. On aurait dit une aquarelle, une toile de Renoir ! Pourtant, une impression de rigueur, de dureté, se dégageait d’elle malgré la douceur des couleurs…

Le train repartait pour une autre station qui n’avait rien à voir avec les îles !

La fille me fixait étrangement, peut-être même cruellement. J’étais stupéfait, un peu oppressé, et dans ma tête une pensée insidieuse, sournoise, lentement s’installait. Où avais-je vu ce visage, ce regard si dur ? Tandis que la fille ne cessait de me scruter. Le train, lui, continuait sa course dans l’obscurité, transportant les voyageurs qui ne se doutaient de rien ! Certains lisaient le journal du matin, d’autres terminaient leur nuit ou bien s’échinaient sur des mots croisés. Mais tous voyageaient dans leur solitude, l’indifférence. Pas de sourire, mais des visages fermés comme les portes de la rame…

Cette fille me disait quelque chose. Où avais-je vu ce visage ? Dans une revue, sur une photo ? Etait-elle mannequin, artiste de variété ? Avait-elle chanté récemment à la télévision ? Bref, je faisais l’inventaire de toutes les possibilités !

Soudain, j’eus un éclair !

Ce visage ne ressemblait-il pas à celui que les autorités avaient placardé dans tous les lieux publics ?

Une personne recherchée pour terrorisme !

Il faut dire que nous étions en pleine vague d’attentats, de menaces terroristes, de revendications contre l’incarcération de militants extrémistes ! Le métro parisien venait de subir de plein fouet cette violence dont les images  étaient encore dans toutes les mémoires.

Mon sang se glaça, je  blêmis. Mon cœur s’emballa !

Je ne savais que faire ;  la fille me fixait étrangement ; elle se pencha sans cesser de me regarder ; elle ouvrit son sac de sport et plongea une main. Pour chercher quoi ?

Une arme !

Je fut pris de peur. Mes jambes  tremblaient.

Mon corps était bloqué et m’empêchait de réagir. Ma  dernière heure était-elle venue ?

Dans ces moments là, des choses bizarres passent dans notre tête. Des souvenirs,  comme dans un film, se bousculent et remontent. Mon enfance, sans souci, défila à toute vitesse ;  et j’entendis la voix de ma mère  qui me disait : « Petit méfie-toi des filles ».

 Et je repensais aux heures passées.

Mais pourquoi donc étais-je parti si tôt ? Si j‘avais pris le train habituel, cette rencontre ne se serait pas produite. Je maudis mon lever matinal. Si seulement ce train s’arrêtait, mais non ! Il filait, accélérant, dans ce tunnel lugubre, effrayant. Aucune échappatoire, aucun quai salvateur.

Et la fille farfouillait dans le sac comme pour faire durer le suspense !

Un sourire s’esquissa sur ses lèvres ; avait-elle trouvé l’arme ?

Et, soudain, le train ralentit.

Nous approchions de la station  Charles de Gaulle.

Un espoir naquit. Aurais-je le temps de descendre de la rame ? De me mettre hors de portée du danger ? Peut-être que deux ou trois policiers seraient présents pour s’interposer ! Mon dieu j’étais tombé bien bas pour espérer la police, évoquer dieu, moi l’anarchiste, l’incroyant, le mécréant !

Au moment où le train stoppa, la fille sortait sa main du sac !

Etais-je perdu ?

 Je fermai les yeux ; je suais ; j’attendais, tétanisé, le coup de feu ! Adieu mes résolutions audacieuses ! Le courage, l’instinct de survie, ce sont des mots vides de sens face au danger !

Mais rien ne se passait.

Seul le signal du départ troubla le silence.

 J’ouvris les yeux,

La fille  souriait, d’un air ironique. Dans sa main, sa fine main aux ongles longs et vernis de bleu pastel, elle tenait un livre, un roman insipide et plat pour jeunes filles de bonne famille !

En fait de terroriste, j’avais devant moi une fille un peu romantique et sans doute sage, qui rêvait par la grâce d’un roman à l’eau de rose !

« Vous n’avez pas l’air bien » me dit-elle ! Je bafouillai : mal de tête, indigestion,  manque de sommeil…

J’étais confus ; je voulus la remercier de se préoccuper de ma santé : mais comment lui avouer que je l’avais prise pour une terroriste et qu’elle m'avait foutu les pétoches ?

Bloqué par ma peur, je ne répondis pas…

Elle me sourit de nouveau quand je descendis à la station  Auber, vacillant comme un homme saoul, les jambes cotonneuses…

 

Méfie-toi des filles disait ma mère, oui mais de moi, de mon imagination, je devrais, de temps en temps, me méfier !



13/06/2008
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