ECRITURES

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MÉTAMORPHOSE

 

Ce jour-là, Gabrielle et moi avions décidé de visiter le sous-sol de Montmartre. Le Sacré-Cœur de Montmartre est construit sur des anciennes carrières de gypse. Certaines cavités sont bouchées, d’autres inexplorées. Nous adhérions à une association de sauvegarde des souterrains parisiens. À ce titre nous et d’autres adhérents prospections sous Paris à la recherche de souterrains inconnus et susceptibles d’être aménagés pour d’éventuelles visites du public.

Gabrielle et moi faisions souvent équipe dans ce genre d’exploration et pour d’autres équipées aussi… Très proches, pour ne pas dire intimes, nous nous explorions mutuellement à la recherche de sensualité inconnue. Parfois même nous nous acoquinions dans les dessous de la capitale. Cela met du sel à nos relations. Nous retrouvions des sens aujourd’hui édulcorés par un bien-être matériel. Qui fait encore l’amour dans le fond des cavernes ?

 

Nous étions partis d’une rue où se trouve une entrée connue des seuls cataphiles. Très vite nous progressâmes dans les entrailles. Gabrielle frôlait mon corps. Pour atténuer son appréhension disait-elle ! Moi j’adorai ce contact. La chaleur de nos corps me réconfortait. Aujourd’hui le noir panique les êtres humains habitués à la fée électrique. Le souterrain vétuste, mal entretenu et pratiquement sans étais dans lequel nous avancions, céda sa place à une vaste salle au bout de deux à trois cents mètres d’inclination assez forte. La salle paraissait un immense hall de gare. D’énormes colonnes soutenaient la voûte. Les carriers les avaient laissés par endroits et bien disposés afin d’éviter les éboulements du plafond. Les ouvriers avaient aussi abandonné des traces de leurs passages ici où là. Des endroits aménagés pour leurs repas, leur outillage. Gabrielle me fit remarquer un aménagement particulier :

- Regarde, on dirait une alcôve !

En effet, en excavant le gypse, les travailleurs avaient bâti une sorte de gradin sur lequel ils devaient prendre leur repas. Le dessus de la banquette lissé, patiné par les bleus de travail des ouvriers nous invita à nous asseoir. Les lampes de nos casques éclairaient le lieu. La lumière dessinait des arbres fantastiques. Nous avions l’habitude. Des profanes y auraient vu toutes sortes de choses : des zombis, des apparitions…

Le silence était total. Seules quelques gouttes d’eau qui s’infiltraient de l’extérieur et qui tombaient sur le sol rompaient celui-ci. Cette infiltration de l’eau de pluie détériorait au fur et à mesure des années, les bancs de gypse et surtout les piliers de soutien. Périodiquement des géologues venaient vérifier et faire effectuer les travaux nécessaires afin d’éviter un écroulement. Les piliers étaient renforcés, consolidés, ceinturés par des pierres de taille. Cela donnait un spectacle grandiose quand on pouvait éclairer la salle. Une forêt de piliers de calcaire soutenait le Sacré-Cœur ! la hauteur de la cavité équivalait à deux immeubles.

 

Gabrielle se rapprocha de moi. Elle se colla sur mon corps. Je l’enlaçai, une main sur l’épaule, l’autre sur son ventre. Je sentis battre sa poitrine sur mon torse. Sa bouche chercha la mienne. Nous nous bécotâmes à bouche que veux-tu. Aucun regard réprobateur ou envieux de passants ne pouvait nous arrêter. Mes mains fébriles fouillèrent sous son chemisier. Elle ne portait pas de sous-tif. Ses seins admirables n’avaient pas besoin de ce vêtement. L’érection de ses tétins me fit comprendre ses envies. Moi aussi j’étais en émoi. Elle enleva mon tee-shirt. Je défis son chemisier. Puis d’un commun accord nous enlevâmes le bas. Nus comme des vers, hormis nos souliers de protection et nos casques, sous les entrailles de Montmartre, nos corps ne firent plus qu’un. Les cris qu’elle poussa ne dérangèrent personne. Ils résonnaient dans l’alcôve où nos corps s’ébattaient. Repus et comblés par l’accouplement, alangui et serré l’un contre l’autre, nous écoutions nos cœurs rependre leur souffle.

 

Soudain des cris perçants, des frottements, des grattements de paroi. Nous cessâmes de respirer, attentifs. Nous n’étions pas seuls ! Avec une lampe de poche puissante, je lançai la lumière vers les bruits qui provenaient d’un souterrain à droite de l’alcôve. La lumière découvrit des points lumineux qui avançaient vers nous. Ces points lumineux semblaient à hauteur d’homme. Nous commencions à paniquer. La lampe éclaira brusquement des créatures terrifiantes. Nous poussâmes un cri. D’immenses rats, hauts de deux mètres, debout sur leurs pattes arrière, s’approchaient. Poussés par la terreur, sans même nous rhabiller, Gabrielle et moi prîmes nos jambes à nos cous pour rebrousser chemin. Dans notre panique nous suivîmes un souterrain inexploré. Derrière nous, les entités se rapprochaient. Nous arrivâmes dans une autre salle, plus petite.

Perdus, égarés, affolés, poursuivis par des monstres, nus comme au premier jour, nous vîmes un passage d’homme dans le gypse. Nous  glissâmes à l’intérieur du boyau pour atterrir dans une petite salle nous nous empressâmes, tremblants, de boucher l’ouverture avec des gravas. Le passage clos, nous nous regardâmes. Nous étions dans une petite salle manifestement aménagée. Des murs de béton renforçaient le gypse, même le plafond était bétonné. En face de l’ouverture traversée, une porte blindée entrouverte. Seul le pan de mur de notre boyau était resté naturel. Étrange ! Nous ne connaissions pas cette pièce. Elle ressemblait à un bunker récent non terminé. Une table disposée dans un angle attira notre attention : sur son plateau un étrange objet attendait. Il ressemblait à une grosse boite métallique avec sur la face avant un long tube fermé par un verre épais et teinté. Sur le côté visible de l’appareil, plusieurs cadrans voltmètres, des interrupteurs.  Des câbles sortaient d’un mur et alimentaient l’objet. On avait fait venir l’électricité dans cette pièce pour alimenter cette machine. Gabrielle murmura qu’elle avait eu connaissance d’une expérience scientifique dans le sous-sol de Paris. Expérience gardée secrète, ce qui expliquait notre ignorance du lieu de cette pièce. Une équipe de chercheurs voulaient tester un appareil à rayons sur les rats. Cette machine automatique déclenchait ses rayons lors des passages des bêtes. L’expérience avait été abandonnée sur ordre supérieur. Que s’était-il passé ? Les chercheurs du genre docteurs Folamour remerciés. Nous avions trouvé le lieu de leurs tests sans le vouloir. Les grattements des monstres derrière l’orifice que nous venions de boucher détournèrent nos réflexions. Avisant la porte blindée, nous reprîmes notre fuite. Passant devant le tube de la machine, nous déclenchâmes une lumière verte qui traversa nos corps. Soudain le sol remua, se déroba sous nos pieds. La peur de l’écroulement de la galerie nous donna des ailles. Combien de temps dura notre fuite, je ne saurai le dire. Au bout d’un temps qui nous parut long, je vis au loin un escalier, puis une lumière et nous perçûmes les bruits de la ville. Une plaque de fonte nous séparait de la liberté. Je poussai de toutes mes forces. Elle céda. Éblouis par le soleil de l’été nous émergeâmes des entrailles devant le Sacré-Coeur de Montmartre parmi la foule des touristes et promeneurs.

 

Brusquement les touristes, les  promeneurs poussèrent des hurlements en nous voyant sortir du dessous de Montmartre. La foule se mit à hurler, à fuir. Nous étions nus et plein de terre certes, mais de là à faire détaller des centaines de personnes…

Pourtant ce fut la ruée, la cohue se jeta sur les marches, vers les rues adjacentes. Notre sortie des entrailles de Paris provoquait une véritable panique. On se piétinait pour passer le premier, on se bousculait sans pitié. En quelques secondes le parvis et les escaliers de la Butte furent vidés des promeneurs de ce dimanche d’été. Il ne resta que quelques handicapés oubliés et recroquevillés sur leurs fauteuils roulants, quelques aveugles à la recherche de leurs cannes blanches emportées par la panique. Ces gens, c’était étrange, n’avaient-ils jamais vu de nudistes ? Certes notre sortie pouvait paraitre incongrue, mais de là à semer la déroute dans ce lieu historique à notre tour nous descendîmes les escaliers. Il nous fallait trouver de l’aide, des vêtements. Le sol était jonché d’appareils photo, de sacs, de colifichets abandonnés par les vendeurs à la sauvette… Curieux.

Soudain, j’entendis hurler Gabrielle. Je me retournai. Je hurlai à mon tour. Nous venions de retrouver l’intégralité de notre vision. Je crus un mauvais rêve. Gabrielle n’était plus Gabrielle, mais un énorme rat qui se dressait sur les escaliers de la Butte. Je regardai mon corps. J’étais aussi transformé en énorme rat !

Que s’était-il passé ? Cette lumière qui venait de traverser nos corps et provoquer le tremblement de terre nous avait transformés. Pourtant nous pensions, réagissions en êtres humains, mais nos apparences s’étaient métamorphosées en rats : en rats d’égout. Nous vivions un cauchemar. Nous allions nous réveiller et tout rentrera dans l’ordre. C’était horrible. Des rats avec des casques et des lampes sur la tête. Des rats avec, sur les pattes arrières des chaussures de sécurité. Des rats dont les faces arboraient un visage humain. C’était tout ce qu’il restait de nous ! Les chercheurs un peu fous avaient laissé leur machine sous tension. Elle fonctionnait et se déclenchait à chaque passage. Cela expliquait que les rats qui passaient devant se retrouvaient transformés en géants ! Le sous-sol de Paris finirait par être peuplé de monstres et les humains qui entreraient dans la salle de tests  transformés en bêtes.

 

Les seins, les beaux seins de Gabrielle étaient devenus d’horribles excroissances velues. Nos peaux blanches s’étaient transformées en cuir noir parsemé de poils. Nos pieds devenus pattes portaient encore les chaussures de sécurité ! Deux longues queues virevoltaient à l’arrière de nos corps.

Les sirènes des voitures de police se rapprochaient en bas de l’escalier et de la rue.

Prévenus, les policiers accouraient. Les premiers que nous vîmes eurent un recul. Nous étions abominables. Ils se ressaisirent, s’approchèrent. Moi aussi je me rapprochai d’eux afin de nous expliquer. Nous avions conservé, et c’est étrange, le langage humain. Ils prirent peur et dégainèrent leurs armes.

Les premiers tirs passèrent à côté et au-dessus de nous. Ils tremblaient. Déjà d’autres policiers prenaient position avec des armes automatiques. Nous allions être abattus comme des rats !

Gabrielle et moi sans nous concerter, mais d’un regard éloquent, nous fonçâmes vers la bouche d’entrée du souterrain. En trois secondes nous étions à l’abri des tirs. Nous dévalâmes l’escalier afin de nous mettre hors de portée des tirs nourris déclenchés dans le trou. Aucune balle ne nous toucha. Après une course éperdue, nous reprîmes respiration tout en évitant de nous regarder l’un et l’autre. Exténués nous repartîmes dans le souterrain et atteignîmes la salle d’expériences à peine franchie la porte blindée que le sol se remit à bouger, que la lumière  de la machine infernale nous traversa. Puis le séisme cessa, les picotements aussi. Apeurés nous nous regardâmes. Nos corps semblaient redevenus comme avant, comme quand nous étions humains ! Gabrielle venait de retrouver ses magnifiques seins que ma langue adorait titillés. Son bassin retrouvait les courbes et les appâts d’une femme dans sa plénitude. Mon corps aussi venait de retrouver ses formes. Il exultait, je veux dire qu’une partie bien précise de mon corps montait au pinacle.

L’heure ne prêtait pas au batifolage. Nous enlevâmes les pierres et gravas qui obstruaient l’ouverture. Celle-ci dégagée, nous sortîmes de la pièce.  Les monstres avaient disparu. Nous cherchâmes notre alcôve que nous retrouvâmes après quelques allées et retours. Sur la banquette de pierre, nos habits nous attendaient.

Gabrielle tremblait de joie et de peur. J’étais rouge de confusion et d’envie. Curieusement, malgré nos désirs réciproques, nous  renonçâmes à tout rapprochement, à tout baiser.

De nouveau habillés nous reprîmes le chemin à l’envers.

 

Gabrielle et moi nous ne nous sommes plus jamais revus. J’aurais toujours eu l’impression de faire l’amour à une femelle rat ! Gabrielle avait dû avoir la même impression, celle de forniquer avec un gros rat dégoûtant !

Caresser sa poitrine aurait réveillé en moi la vision de sa peau marron d’animal. Nous n’avons plus repris notre adhésion à l’association et, en ce qui me concerne, jamais plus descendu dans les entrailles de la cité !

Le Parisien relata l’incident en ces termes : « la police pense qu’il s’agit de deux personnes déguisées en rats pour faire peur aux touristes et les dépouiller de leurs biens » l’enquête continue.

On ne retrouva jamais les coupables.

Aujourd’hui, vingt ans après, l’enquête est aux oubliettes et chaque fois que je pense aux jolis seins de Gabrielle je suis pris de nausées. D’ailleurs depuis cette mésaventure, je n’ai pu poser mes yeux sur la nudité d’une femme. J’ai bien essayé, mais à chaque tentative, je vois le corps d’un grand rat. L’amour m’est désormais interdit.



14/01/2015
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