ECRITURES

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PAUVRE CHIEN ERRANT

 

Le chemin était charmant mais grimpait dur. Vers onze heures, je suis arrivé au château de Pesteils. Je me suis assis sur un tronc d’arbre coupé et j’avalais mon repas quand, soudain, derrière moi, j’entendis un bruit de branchage cassé. Je me retournai surpris car, depuis le matin, j’étais seul sur le sentier.

Je m’attendais à me retrouver face à une biche, voire un cerf. Hélas ! Ce n’était qu’un chien. Un pauvre chien errant dont la langue pendait. Un randonneur fantaisiste aurait prétendu avoir vu un loup, peut-être même la bête du Gévaudan, ce n’est pas loin ! Mais moi, sans imagination, je n’aperçus qu’un vulgaire mâtin. Il tourna autour de moi, la queue battant les feuilles au sol. Il me regardait, me suppliait de ses yeux tristes. Il avait faim, c’est sûr.

« Que veux-tu que je te donne, mon pauvre chien ; je n’ai que des pommes et quelques galettes ? »

J’ai vu,  à peine entrevu devrais-je dire, comme une lueur au fond de ses yeux accablés !

Parfois, les animaux, surtout ceux qui sont proches de nous, comprennent les hommes. Tel est le cas des chiens.

Il s’assit sur son postérieur et me dévisagea. Il aboya légèrement, presque gentiment, comme s’il voulait exprimer quelque chose, m’implorer de l’écouter.

J’étais dubitatif, pressentant que l’animal n’avait que l’apparence d’un chien : je l’aurais juré, une vie humaine avait dû en prendre possession.

Je ne crois pas aux dieux, mais je pense que l’homme possède quelque chose qui survit après la mort. Peut-être est-ce l’âme décrite par les religions. Une entité qui sort du corps froid pour intégrer un corps vivant ?

La réincarnation des Hindous, en quelque sorte ! Moi, j’y crois un peu. J’aimerais d’ailleurs, après ma disparition, renaître en papillon.  C’est joli un papillon bariolé aux couleurs de l’arc-en-ciel qui va butiner le velours des fleurs sur les chemins.

Étais-je là devant la résurrection d’une vie humaine ? J’en étais persuadé. Le chien m'examinait comme un homme étudie, observe.

Oui ! Il avait faim. Il me faisait comprendre que mes galettes lui convenaient. Je lui tendis l’une d’elles. Mon étonnement fut grand et renforça ma conviction quand il voulut, naturellement, s’en saisir avec ses pattes avant. L’instinct héréditaire, qui consiste à utiliser les mains, prenait le dessus ! Il culbuta, pataud, étonné de ne pouvoir s’aider de ses membres de devant. Il ne savait pas encore se servir de sa gueule pour happer les aliments !

Je ramassai la galette et la lui mis dans la gueule. Il mastiqua tristement en me regardant, les yeux mouillés de larmes. Oui, j’étais bien devant une créature humaine transformée en chien !

Comment faire pour lui rendre forme humaine, pensais-je ?

J’étais là, méditatif, sur ce tronc près de la forteresse de Pesteils, située à Polminhac dans le Cantal. Cet édifice dominait le village. Je le regardais et, soudain, j’eus une idée !

Dans un château il y a toujours une fée ! Voilà la solution à mon problème. Seule une enchanteresse, de sa baguette magique, pourrait redonner figure humaine à ce chien ! Car, vraisemblablement, un homme avait été transformé en bête par une sorcière.

Et tous deux, le chien et moi, nous descendîmes vers la citadelle. À l'entrée, la châtelaine était assise derrière une croisée. Un coffret était posé sur un écritoire. Il était grand ouvert. La dame comptait ses écus. Je m’excusai de la déranger et m’enquis de l’endroit où résidait la bonne fée.

La femme me regarda d’un drôle d’air. Pourtant ma question était simple et bien posée. Peut-être mon accent ? Non, ça devait être la manière dont j’étais habillé ou mes cheveux mal peignés.

Elle se retourna vers une porte entrebâillée  et dit d’une voix forte : « Chef, il y a un type bizarre qui veut voir la fée du château. »

C’était drôle d’appeler le maître des lieux  d’une telle façon, et qu’est-ce que ma démarche avait de si étrange ?

Le châtelain s’approcha de moi. Il était grand, un peu bourru. Il avait laissé son armure et portait un pantalon défraîchi et une chemisette à fleurs  : « C’est vous le personnage qui veut voir la fée ?

- Oui, seigneur, lui-répondis-je. J’ai là un homme transformé en chien que j’ai trouvé sur vos terres ; je voudrais conjurer le sort et le faire revenir tel qu’il était avant. »

Il ne me répondit pas tout de suite. Visiblement, j’étais tombé sur un triste sire. Sa dame et lui me dévisagèrent longuement, puis il me dit : « Je vois ; attendez quelques minutes ; je vais téléphoner pour qu’elle vienne vous chercher. »

J’étais  perplexe car les fées de mon enfance n’avaient pas besoin de téléphone pour être prévenues. Étrange époque tout de même, et insolite bonhomme que ce châtelain. J’attendis la bonne fée assis sur une chaise, le chien à mes pieds.

Quelque temps plus tard, j’entendis un véhicule qui s’arrêtait et le claquement des portières.

« Voilà votre ensorceleuse qui arrive en voiture », me dit l’homme d’un air goguenard.

Une fée en voiture, pensai-je, c’est de plus en plus biscornu. Les gens d’ici sont surprenants.

La fée entra. C’était, je dois dire, une fée cocasse. Elle était habillée d’un uniforme bleu. Sur sa tête, au lieu du chapeau pointu, trônait un képi. Dans une main, à la place de la baguette magique, elle tenait une sorte de gros bâton noir. À son ceinturon était accroché un étui d’où dépassait un revolver. Mais où diantre étais-je tombé ? Les fées, dans cette province, étaient drôlement accoutrées ! Et quel nom surprenant pour une fée ! Sur une bande de tissu cousue à même sa chemise était marqué « gendarme » ; de plus, elle était accompagnée d’un garde moustachu qui ne la quittait pas d’une semelle !

Elle m’adressa la parole, me demanda si c’était moi l’individu qui cherchait une fée. Je lui dis oui et commençai à conter mon histoire. Elle me coupa la parole et me dit : « Venez avec nous, nous allons consigner votre histoire. »

Nous montâmes tous les quatre dans un fourgon car ici, curieusement, les fées n’ont pas de carrosse ! Décidément tout était anormal  dans cette région ! 

Quelques minutes plus tard, la voiture s’arrêta devant une grande maison dont les fenêtres avaient des barreaux. Cette demeure portait un nom excentrique : « gendarmerie »

J’ignorais ce terme pensant que les fées vivaient dans des palais. Assurément, tout allait de travers dans cet endroit du royaume. Était-ce le volcanisme qui perturbait ces braves gens ?

« Entrez et asseyez-vous sur cette chaise, me dit la fée, et racontez-moi votre aventure. » Je lui narrai mes péripéties depuis  le début. Elle prenait des notes en tapant sur une machine que je ne connaissais pas et qu’elle nomma à plusieurs  reprises « ordinateur. »

« Depuis combien de temps êtes-vous à Vic-sur-Cère ? 

- Une semaine, lui répondis-je.

- Et que faites-vous dans notre département ? » 

Je pensai en moi-même que le mot était surprenant pour désigner l’Auvergne, mais c’était peut-être  un terme étranger.  « Je marche sur les chemins  et j’écris.

- Vous écrivez, dit-elle  en pouffant de rire, je vois. »

Moi, je ne voyais pas grand-chose et je ne comprenais pas les questions alors qu’il s’agissait du chien ! Et pourquoi riait-elle ? Il n’y avait pas de quoi plaisanter de la mésaventure de ce pauvre être changé en chien !

À un moment, j’ai cru qu’elle se moquait de moi ! C’était une séduisante fée qui sévissait dans le canton. Elle était fort jolie avec son nez retroussé et ses yeux rieurs. Je subodorai quelque malice dans ses propos et dans sa façon de me regarder.

 « Vous écrivez, je suppose, des contes de fée ? Me demanda-t-elle avec un sourire radieux à transformer des hobereaux lugubres en princes charmants.

- Oui, entre autres ; mais, dites-moi, pour le chien, vous pouvez faire quelque chose ? »

Elle me tendit un parchemin qui venait de sortir à toute vitesse d’une autre machine. C’était bien une véritable magicienne pour utiliser ces machines fantastiques.

« C’est un double de votre déclaration, me dit-elle, gardez-le précieusement ; vous en aurez besoin pour votre prochaine nouvelle. À quel hôtel êtes-vous descendu ? » Je lui donnai l’adresse de ce dernier.

« Bien, on va vous y reconduire. Vous allez vous reposer car le soleil tape fort ici, surtout dans nos montagnes ;  je vais m’occuper du chien. »

 Je fus rassuré pour le chien, mais je ne compris pas ce qu’elle voulait dire à mon sujet ! Je n’étais pas fatigué.

  



13/06/2008
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