ECRITURES

ECRITURES

PHENOMENE

 

Le soleil dardait ses rayons de juillet sur la ville de Nanterre. Je marchais sur le trottoir en cherchant l’ombre des feuillages qui me protégeait de la brûlure de l’astre. Nous étions pourtant dans la matinée, mais déjà la chaleur imprégnait les corps, chauffait l’asphalte et donnait à la cité un air du sud. Je me dirigeais vers la gare et je m’apprêtais à traverser la rue afin de changer de trottoir. Machinalement en regardant à droite puis à gauche, avant d’emprunter le passage pour piétons, je jetais un œil sur la circulation des voitures ainsi que vers le ciel.

C’est alors que je vis la chose.

Devant l’incompréhensible, mon corps se paralysa, mes jambes tétanisées refusaient de bouger. Ma tête repoussais la vision et mon cœur battit plus fort !

Je restais abasourdi, stupéfait, interloqué devrais-je dire. Je me repris à plusieurs fois pensant être l’objet d’un mirage dû à la chaleur, d’une aberration des verres de mes lunettes. J’essuyais les lentilles de ces dernières. Rien à faire, l’image entrevue et bouleversante ne venait pas de mes lunettes. Ce n’était pas non plus un mirage car ceux-ci se voient toujours au ras du sol, sauf les avions du même nom mais ça c‘est une autre histoire. Était-ce le fruit de mon imagination débordante ou un dérèglement de mon cerveau ?

L’objet de mon incompréhension, de mon interrogation, et d’un début d’oppression, je dois le dire, était toujours présent. J’observais à nouveau, planté sur le trottoir. Je n’étais pas le seul. Au fur et à mesure que passaient les minutes, d’autres personnes scrutaient le ciel, des trottoirs, de leurs jardins, devant les seuils des maisons. Plusieurs voitures avaient stoppé et les conducteurs et leurs passagers regardaient hébétés, angoissés le ciel.

Un camion de pompiers lui aussi s’était figé. Les pompiers qui faisaient leur jogging en suivant le véhicule, avaient arrêté leur activité sportive et montraient du doigt le ciel. Plus précisément un point précis du ciel. Là où notre satellite naturel, notre cousine Dame Sélène, avait rendez-vous avec le soleil comme le chantait si bien Charles Trenet : Le soleil a rendez-vous avec la Lune, mais la Lune ne le sait pas !

Les R.E.R. eux aussi stoppèrent et les voyageurs, descendus sur le ballast, observaient le ciel bouches bées, inquiets.

Je ne rêvais pas. Je n’étais pas l’objet d’une hallucination, d’un délire.

Des centaines de gens ici et ailleurs, je le sus un  plus tard, contemplèrent sidérés le phénomène.

Malgré l’ampleur de celui-ci et l’interrogation qu’il suscitait, j’étais rassuré. Non ! La chaleur caniculaire n’avait pas atteint mon cerveau.

Poussé par l’angoisse et le besoin de savoir je fis demi-tour. Effrayé par la chose vue, je rentrais chez moi à toute vitesse. J’allumais mon poste de télévision pour être informé. L’événement céleste faisait l’objet de toutes les attentions. Les chaînes du monde entier avaient stoppé leurs émissions et passaient en continu les photos de ce dernier et les commentaires des verbeux de service en ce mois d’été.

Déjà sur les plateaux de télévisions se bousculaient astronomes, astrophysiciens hommes politiques, journalistes et autres charlatans diplômés prêt à tout expliquer.

Car ces gens là avaient tout compris du phénomène et y allaient de leurs explications et théories souvent contradictoires.

Les mots fusaient, parfois, souvent acerbes. On s’invectivait à coup de Big Bang, de proton, de pulsar, de trous noirs.

Bientôt ils en vinrent aux mains !

Un soir des millions de téléspectateurs qui attendaient une réponse rationnelle et rassurante du phénomène, virent de doctes savants qui après s’être copieusement injuriés, se frotter et se crêper le chignon comme de vulgaires sauvageons.

Le spectacle attestait, donnait une idée de l’ampleur des dégâts  psychologiques sur les terriens.

La panique ne connaissant pas les frontières, de l’Auvergne à l’Asie et sur les autres continents elle faisait des ravages.

L’économie en souffrait. Les salariés ne se rendaient plus au travail. Les trains ne circulaient plus et déjà la pénurie alimentaire se faisait sentir. Le monde courait à sa perte…

Des sectes proclamaient l’apocalypse. Les religions y voyaient  une sanction de leurs dieux face à l’impiété des sociétés, au matérialisme de l’occident…

Ce qui n’empêchaient pas certaines d’en tirer profits en monnayant une place au Paradis. Les affaires sont les affaires…

Des dictateurs en herbe montrèrent leurs képis.

Bien sûr quelques poètes tentèrent de faire valoir leur vision de la chose céleste. Mais ils n’eurent pas droit au chapitre.

Non ! Les télés, les journaux n’interviewaient, n’invitaient que des gens biens, sérieux. Des gens qui savent parler pendant des heures pour ne rien dire mais qui ont au moins le mérite de faire dormir les téléspectateurs sans prise de somnifères.

Un jour un astrophysicien très connu du monde scientifique, nous affirma qu’il s’agissait  d’une aberration chromatique, et qu’en fait notre vision était déformée en traversant l’atmosphère terrestre.

Une autre fois ce fut un philosophe réputé de la place de Paris qui prétendit avec force praxis, noèmes et autres termes incompréhensibles pour le commun des mortels que le phénomène observé n’était que simplement virtuel ! Des milliards d’êtres humains rêvaient sauf notre philosophe qui lui ne voyait rien !

C’était rassurant.

Le summum sembla atteint lorsqu’un psychologue, professeur dans un grand hôpital de province, vint soutenir mordicus qu’il s’agissait là d’un phénomène de vision universelle. Nous étions, nous les terriens, d’après ce professeur, entrée dans une phase de schizophrénie collective. Bref les six milliards d’individus que comptaient notre planète étaient fous, sauf ce cher professeur bien sûr et ses collègues cela va s’en le dire.

C’était moins rassurant, surtout pour les psys.

Pourtant le phénomène restait présent, visible la nuit et une partie du jour. On aurait pu en rire, en sourire et les chansonniers en faire leurs choux gras afin de régaler le public !

L’heure n’était pas propice aux humoristes non plus. Personne ne riait. La peur paraissait visible sur la face des humains. Une peur ancestrale, venu du fond des temps, de l’âge des cavernes. L’inexplicable  figeait l’humanité dans l’effroi.

La chose provoquait l’épouvante car elle était incompréhensible et présentait aux terriens une vision stupéfiante de la Lune.

Car notre satellite, la Lune n’apparaissait plus ronde avec une face livide et ses nombreux cratères de météorites appelés mers, non ! Elle s’était transformée comme une figure humaine ! Ovoïde avec des oreilles, des yeux ronds, une bouche et un nez. Humanoïde qu’elle était devenue. De plus elle arborait un sourire et ses yeux pétillaient de bonheur ! Incroyable et je ne rêvais pas.

Mais le plus extraordinaire n’était pas seulement cette transformation de notre satellite. Après tous nos savants auraient pu mettre sur le compte de la couche d’ozone, la pollution ou l’alcoolisme universel cette vision. Mais ce n’était pas tout ! Non contente de nous donner la migraine avec son changement, la Lune n’était plus seule !

Notre cousine nocturne était accompagnée d’un partenaire ! Oui la terre se retrouvait avec deux satellites et cette deuxième entité présentait, elle aussi, une face humaine qui souriait, heureuse, béate! D’où venait cet astre, de quelle orbite céleste avait-il dévié ?

Les ordinateurs de la Nasa américaine et de l’ESA européenne tournaient à plein régime pour calculer, vérifier. Hélas rien ne sortaient des computers les plus puissants de la planète.

Les cerveaux des astronomes cogitaient. Des explications plus ou moins fumeuses sortaient des centres de recherche. Des élucubrations pseudo-scientifiques virent le jour. Les invectives continuaient semant une détestable acrimonie entre savants.

Les plateaux de télévisions fonctionnaient jours et nuits. Des savants, des politiques, des journalistes se relayaient pour disséquer, expliquer.

La terre semblait malade de son satellite.

Tous les instruments d’observations étaient braqués sur le phénomène et pourtant aucune explication crédible ne vit le jour !

Nos chercheurs, nos décideurs ne virent pas une réalité que, perdus dans leur mégalomanie de tout savoir, de tout gérer, de tout décider, il ne pouvait entrevoir :

Oui ! La Lune était amoureuse et nos élites ne s’en rendaient pas compte ! L’amour n’entre pas dans leurs équations, leurs décisions, leurs ordinateurs et surtout n‘est pas coté en Bourse, aux valeurs du  au C.A.C. 40 ! .

Dame Sélène filait le parfait amour avec son compagnon elle qui depuis des millénaires était esseulée, taciturne tout là-haut et gênée par les hommes qui venaient la perturber avec leurs fusées, leurs sondes. Elle avait enfin trouvé un amoureux. Ils roucoulaient bienheureux et cela dérangeait les hommes qui depuis belle lurette ne s’aimaient plus !

Mais seuls les poètes avaient compris et ils étaient enchantés ce qui rendaient encore plus fous, plus antipathiques les dirigeants.

L’événement dura deux semaines pendant lesquelles les humains furent perturbés, les gouvernements incapables de comprendre et les savants ignorants. Puis l’apogée eut son point culminant une nuit à l’époque des Perséides, ces étoiles filantes qui traversent la voie lactée au milieu du mois d’août. La Lune et son compagnon, joue contre joue, s’en allèrent  guidés par les comètes.

A ce moment là je pensais à une des chansons du regretté Georges Brassens : les bancs publics. Avec un peu d’imagination je m’amusais à changer les paroles : les amoureux qui se bécotent sur la voix lactée, voix lactée, voix lactée se foutent pas mal des regards obliques des philosophes, astronomes et autres savants…

 

Ébahis et inquiets, les hommes les virent s’éloigner dans le firmament, puis disparaître

dans l’infini. La lumière nocturne disparue.

On ne les revis plus jamais et les étoiles filantes non plus. La nuit terrienne fut définitivement noire.

 

 

 

 

 

 

 



13/06/2008
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