ECRITURES

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PUTAIN DE FLIC.

 

 

Le commandant observait la fille, un joli brin de fille, un peu trop maquillée à son gout. Assise sur une chaise face au policier, elle ne semblait pas apeurée. D’habitude les personnes arrêtées et interrogées font profil bas. La plupart perdent leurs moyens. La machine policière est une broyeuse d’individus. Coupable ou suspect tu passes à la moulinette de la violence institutionnelle. Le visage de la fille affichait un sourire ironique. Sa façon de se tenir provoquait.  Était-ce un genre qu’elle se donnait ? Une effrontée, une dévergondée ou une comédienne qui jouait son rôle à la perfection ? Le policier ne savait la situer. Malgré lui, il admirait son académie. Sa poitrine montrait des seins fermes, rehaussés par un soutien-gorge . Une courte jupe laissait voir des jambes galbées. Son corps était hâlé naturellement : d’origine d’Afrique du Nord ou une beurette. Elle attirait les regards des mâles, le savait. Elle croisait, décroisait ses jambes, signes de nervosité. Elle tentait de faire bonne figure, mais le corps affichait ses préoccupations. Personne n’est à l’aise face à la police. Un vieil atavisme qui remonte à l’inquisition. Une culotte dentelée et rose apparaissait. Elle offrait ses appas. Ramassée par la patrouille dans le bois de Boulogne au cours de la nuit, elle avait nié être prostituée au début puis l’avait revendiqué par la suite. Sans papier d’identité, les policiers l’avaient embarqué pour vérification au commissariat. Si ce n’était pas une gagneuse que faisait-elle en pleine nuit dans le bois ?

-          J’étais avec un type dans sa bagnole. Il devait me raccompagner chez moi. À un moment il m’a demandé une douceur. J’ai refusé. De colère il s’est arrêté et m’a jeté hors de la voiture.

En prononçant le mot « douceur », la fille bafouilla. Le mot initial devait être : fellation. Elle n’avait pu le sortir preuve de son malaise envers le sexe. Pour une soi-disant prostituée, cela étonnait.

-          Qui est ce type ?

-          Je ne sais pas. Nous avons dansé dans une boite de nuit et nous sommes repartis ensemble.

Après tout le commandant ne pouvait  rien lui reprocher hormis de se promener sans carte d’identité. Néanmoins l’intuition lui murmurait que cette fille le menait en bateau. Elle mentait avec assurance, mais son scénario restait plausible bien que capilotracté.

-          Vous sortez sans sac ? Pour une femme c’est inhabituel.

-          Dans les boites de nuit, les sacs à main sont gênants. Vous pouvez vous faire voler. J’ai juste les clefs de chez moi dans une poche fermée et mon portable.

-          Dans quelle boite de nuit avez-vous dansé ?

-          Je ne me souviens plus !

-          Et le type qui vous a raccompagné, décrivez-le-moi.

-          Je n’ai pas fait attention à lui.

Pas sérieux ce genre de réponses. Elle ne se souvenait de rien. Elle se moque, mais je n’ai aucune raison de poursuivre cet interrogatoire.

-          Où habitez-vous ?

-          Dans le 16e.

Une petite merdeuse de bourgeoise, se dit le flic. La fille le regardait inquiète. Il lui fallait détourner l’attention du flic, lui confirmer qu’elle était bien une tapineuse. Il ne devait pas s’imaginer quoi que se soit.

-          Tu aimerais bien me baiser ?

Disant cela, elle déplia ses jambes. Le rose fuchsia de son slip cachait à peine son sexe. Son mont de Vénus bombait le tissu. Toutefois sa question semblait ne pas correspondre avec le reste du personnage. De plus en plus persuadé qu’elle jouait la comédie, le commandant suspectait autre chose. Son instinct le trompait rarement. La fille cachait la vérité. Ce n’était pas une prostituée : pas de sac avec préservatifs, pas d’argent sur elle. Le commandant regarda la fille longuement.

-          Tu n’es pas une fille de joie et je ne crois pas à ton histoire de boite de nuit !

La fille le regarda curieusement. Elle comprit que ce flic ne s’en laissait pas compter. La cause qu’elle défendait impliquait de passer inaperçu jusqu’au moment d’agir. Ce flic l’inquiétait. Il fallait absolument qu’il s’imagine avoir affaire à une prostituée. Elle devait donner le change afin de protéger l’objectif. Il ne devait pas se douter qu’elle avait rendez-vous avec deux camarades. Ceux-ci devaient apporter des armes afin de les stocker avec les autres déjà dans son appartement. Sa voiture était planquée dans une allée du bois. Prête au sacrifice suprême, se donner à ce keuf ne la dérangeait pas.

-          Je suis une occasionnelle. Je me prostitue pour arrondir mes fins de mois ! Tes collègues m’ont arrêté avant d’avoir un client.

Elle possède une voiture se dit le flic ou alors le type inconnu l’avait accompagné. Il faudra envoyer une patrouille rechercher une voiture abandonnée. Son histoire ne tient pas la route. Elle affabule et construit un scénario au fur et à mesure de mes questions. Sa façon de me tutoyer et de montrer ses atours n’est pas naturelle.

-          Je te propose un tarif d’ami !

-          Je suis homo répondit le flic.

La réponse la laissa ahurie. Elle ne s’attendait pas à une telle réplique. Ce flic l’effrayait. Il ne réagissait pas comme les autres. Il la vouvoyait alors qu’elle persistait à le tutoyer. Son regard pénétrant semblait percer son âme. Il ne fallait pas qu’il devine. Il fallait qu’elle retourne chez elle, qu’elle prévienne les camarades, qu’elle récupère sa voiture.

-          Je vous rapporterai ma carte d’identité demain dans la journée.

-          On va procéder différemment. Je vais vous reconduire chez vous. Vous me montrerez votre carte d’identité.

Putain de flic pensa la fille. C’est la tuile. Il s’incruste. Il me soupçonne. Je dois faire attention à ne pas me trahir.

Dans l’automobile que conduisait le policier, celui-ci lui demanda son adresse. Elle dut admettre qu’elle n’habitait pas dans les beaux quartiers, mais derrière la gare du Nord. Il sourit. Son sourire lui fit peur. Ils étaient seuls dans la voiture banalisée.

-          Pourquoi avoir menti ?

-          Je voulais faire croire que j’habitai près du bois.

Elle a réponse à tout se dit l’officier de plus en plus persuadé qu’elle cherchait à cacher sa présence cette nuit dans le bois.

-           Si t’es un PD, je peux te faire une gâterie. Tu veux une branlette, autre chose ?

Décidément se dit-il, elle n’arrive pas à sortir certains mots !

Il ne répondit pas. Son silence mettait mal à l’aise la fille. Son corps ne l’intéressait pas. Elle se rendit compte qu’elle ne disposait d’aucun autre moyen d’échange. Elle commençait à paniquer. Il entrerait chez elle, jetterait un œil. Les flics sont des fouineurs. Elle devra s’opposer. Après tout il ne disposait d’aucun mandat pour fouiller.  Le matériel était bien caché dans le meuble du salon. Merde se dit-elle. Le meuble était-il fermé à clef ? Elle ne se souvenait plus. Cette réflexion la fit pâlir. Qu’elle conne d’avoir oublié ses papiers. Il fallait qu’elle le détourne de sa suspicion. Elle envisagea de poser sa main sur le sexe du flic afin de le provoquer. Son bras semblait paralysé. Elle n’avait pas ce genre de mœurs. Il se rendrait vite compte qu’elle n’avait pas l’habitude, qu’elle se forçait pour le détourner d’autre chose. Elle commença à dégrafer son corsage mettant à nu ses seins.

-          Regarde comme ils sont beaux, fermes et bronzés.

Le flic jeta un œil distrait et sourit.

-          Rhabille-toi. Je ne mange pas de ce pain-là !

Exaspérée, elle lui lança :

-          T’es une tantouze, un impuissant ?

-          Les deux.

La réponse la laissa sans voix. Elle se replia sur elle-même, tant pis pour lui. Cela renforça sa détermination.

Lorsqu’ils arrivèrent, le flic gara l’auto sur une place disponible. Ils sortirent. Elle flageolait. Ce n’est pas le moment, reprends-toi. Il te faut faire face, pense à la cause à défendre, aux camarades.

L’appartement paraissait bien tenu. Il comportait un grand salon, sur le côté un long couloir où l’on apercevait deux portes de chambres. Les yeux du policier firent le tour de la pièce. Une table et six chaises, sur la table trois assiettes sales. La fille devint blanche quand elle s’aperçut qu’il regardait les couverts.

-          Vous ne vivez pas seule ?

-          Ce midi j’ai invité des amis.

Merde ! se dit-elle en regardant trois tracts qui trainaient sur la table. Ces cons les avaient oubliés. Le flic les voyait aussi. Il s’avança, regarda les écrits.

-          C’est en arabe.

-          Oui. Je suis d’origine marocaine et mes amis de même.

Le flic l’observait d’une  façon curieuse. Comprenait-il l’arabe ? Elle se sentait de plus en plus mal. Le flic déambulait et s’approcha du meuble. Elle se vida de son sang. Les clefs étaient dans la serrure. Elle fit un effort, se précipita, ferma les portes et mit les ouvreuses dans une poche.

Le flic sourit.

-          Quelque chose d’intéressant dans ce meuble ?

-          Non ! Je suis maniaque. Je n’aime pas laisser trainer les clefs.

-          Je croyais qu’il y avait des choses que je ne devais pas voir.

Il sourit, la fixa comme un psy son client tiroir-caisse. Elle lui sembla qu’il disséquait ses pensées.

Elle se rendit compte qu’elle ne pourrait tenir face à un interrogatoire. Trop émotive elle finirait par cracher le morceau, se mélangerait les pinceaux. Elle se voyait en prison, sa famille massacrée. Les camarades avaient été formels : « si tu parles, tes parents ton neveu, ta nièce, ta sœur seront exécutés ».Elle prétexta un besoin pour se rendre aux toilettes. Elle se refit  une beauté dans la sale d’eau. Un Beretta était planqué dans un tiroir. Elle s’en saisit, ajusta un silencieux. Elle n’aimait pas le vacarme des armes. Elle arma.

Lorsqu’elle revint, elle ouvrit un tiroir du meuble pour chercher sa carte d’identité qu’elle s’empressa de montrer au policier. Le flic jeta un œil distrait sur la carte d’identité. Il s’en foutait, à cet instant elle s’aperçut qu’un des tracts sur la table avait disparu. Elle avait pris sa décision.

Il tournait le dos, regardait le téléphone dont une ampoule rouge clignotait.

-          Vous avez un message !

Disant cela, il appuya derechef sur l’enregistreur : « Yasmina ! Qu’est-ce qui se passe ? Où étais-tu cette nuit. On avait du matériel pour toi ».

-          Quel matériel ? s’enquit le commandant.

Elle n’avait plus le choix. Elle savait utiliser l’arme. En forêt de Fontainebleau, les camarades l’avaient initié.

Le policier qui tournait le dos eut des picotements dans la nuque. Dans sa tête une alarme se mit à sonner. Il se retourna brusquement. Son visage changea de couleur. Une peur irraisonnée s’empara de tout son corps. Il avait vécu des situations dramatiques, mit sa vie en péril, tué des malfrats. À cet instant précis, il était seul face à la fille armée qui le visait. Des images de sa femme de ses enfants défilèrent à toute vitesse devant ses yeux.

-          Non !  hurla-t-il.

Elle ne pouvait plus reculer. La cause méritait son acte. La police devait ignorer. Le flic avançait. L’arme se dirigeait vers lui.

Elle se mit à trembler. Son bras se crispait.

-          Pense à ton avenir, lança-t-il.

Sa vie elle s’en foutait tout autant que la sienne.

« N’oublie pas ta famille restée au pays lui avait dit un camarade. Si tu trahis, ils paieront ».

Alors dans un ultime sursaut, pensant à sa famille, elle réagit. Son corps se détendit. Elle ne reculera pas.

Elle retourna le Beretta vers elle. Le tube du silencieux dans la bouche, elle appuya sur la détente. Elle s’écroula sur le sol la tête éclatée.

Le sang qui se répandait emportait son secret.



27/08/2017
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