ECRITURES

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RENCONTRE

 

Sur le quai du R.E.R. station Auber, les lentilles de ma paire de lunettes encore embuées des gouttelettes de la giboulée qui m’avait fait décamper de  la rue, j’attendais le train qui devait me conduire vers mon domicile.

Il était près de 15 h 30 ce samedi et peu de monde attendait dans la station.

Comme le train tardait, je me suis mis à flâner le long du quai. Quelques voyageurs impatients  faisaient les cent pas pour calmer leur énervement. Les haut-parleurs de la station venaient d’annoncer un incident de ligne et la RATP de s’excuser du retard occasionné. Les transports en commun circulent rapidement de nos jours, mais les gens ne tolèrent aucun retard. Combien de visages courroucés, frisant l’apoplexie, lorsqu’un dans un TGV l’agent d’accompagnement informe les passagers d’un retard de dix minutes ?

La vitesse est devenue dans nos sociétés une chose normale. Tout doit se faire dans un temps imparti y compris le transport. Pas de temps mort semble être la devise de la plupart des Français ! Interdiction formelle de rêver, de muser telle est l’ antienne de nos décideurs. Le dogme de l’économie l’emporte sur l’être humain et même les enfants n’ont plus le droit de rêver. La robotisation de l’homme a commencé. Le temps est devenu un enjeu financier placé à la Bourse !

Prendre son temps semble devenir un délit, une indélicatesse, un crime au même titre qu’arracher le sac à main d’une passante. Ne rien faire et le montrer n’est pas encore répréhensible mais pour combien de temps ! Nos énarques et autres fonctionnaires issus des grandes écoles ne devraient plus tarder à s’en occuper. Attention à l’oisiveté qui sera sanctionnée par une contravention et la récidive par la prison. L’oisif sera pourchassé dans nos villes. Heureusement qu’à l’époque des diligences nos compatriotes réagissaient différemment !

J’en étais là de mes réflexions comportementales du voyageur de ce siècle et leurs incidences pour le futur tout en continuant ma déambulation pensive, le regard fixé sur le sol. A un moment donné je levais la tête pour regarder les gens, les placards publicitaires et les annonces culturelles.

C’est alors que je l’aperçus où plutôt c’est elle qui, me semble t-il, me vit la première et me fit un signe.

Je répondis par un sourire fugitif, embarrassé car j’avais des difficultés à me remettre cette fille. Je ne la reconnaissais pas. Situation que nous avons tous connue et qui n’est pas trop grave lorsqu’il s’agit d’une lointaine connaissance : un voisin par exemple.

Pourtant elle me rappelait quelque chose, mais quoi? Une démarche peut-être, une silhouette que l’on croit identifier comme une image gravée dans sa mémoire. Ça cogitait dur dans ma tête pour mettre un prénom sur cette fille qui s’approchait et rafraîchir quelques souvenirs avant qu’elle ne m’aborde. Mon cerveau passa de l’état d’assoupissement à celui de l’ébullition. Et la fille s’avançait souriante. Elle savait qui j’étais, ce que je représentais pour elle. Elle avait mis un nom ou un prénom sur mon visage, remémoré des souvenirs, des anecdotes. Bref un passé que nous avions en commun mais dont je ne me souvenais plus !

Je ne voulais pas paraître idiot et comme un imbécile lui demander qui elle était. Elle n’aurait pas apprécié d’autant plus qu’elle était mignonne et une jolie fille ne s’oublie pas.

Je cherchais tel un ordinateur balaie ses fichiers pour déceler la demande. Mais mon ordinateur présentait des ratés. Rien, le grand vide et la fille marchait à ma rencontre et mes pas, instinctivement, ralentissaient par peur de l’échéance.

Que devrais-je lui dire ?

- Comment vas-tu ma belle ?

Ce qui m’éviterait de mettre un prénom que j’ignorais. Certes le terme  ma belle  présupposait un attachement que nous n‘avions peut-être pas. Comment le prendrait-elle ? Comme une moquerie maladroite, une familiarité qui n’existait pas entre nous ?

Avec les filles une gentillesse peut être mal comprise ou interprétée différemment. Le tutoiement serait-il normal, bien reçu ou devais-je utiliser le vouvoiement ?

Notre degré d’intimité nous permettait-il de nous embrasser ?

Allais-je passer pour un goujat si je lui tendais la main ou si je tentais de l’étreindre ?

Le dilemme était total et aucune solution ne s’offrait. Mes souvenirs restaient muets.

Je n’avais aucune alternative à ce problème ! Me jeter sur la voie ? Ridicule et d’ailleurs le train n’arrivait toujours pas. Faire demi-tour et fuir comme un lâche devant le risque ? Mais cette fille n’était pas dangereuse, elle était si gracieuse.

Seuls ceux qui un jour se sont retrouvés devant un tel obstacle peuvent comprendre mon état d’esprit, mes sentiments.

Et la fille s’avançait et mes jambes flageolaient comme celles d’un fiévreux. Oui l’image était exacte je devenais fébrile.

Mon cœur se mit à cogner plus fort. Il s’emballait le bougre. Ma tête allait exploser à force de rechercher le déclic salutaire qui déclencherait son souvenir et mettrait fin à mon supplice. Nous n’étions plus qu’à quelques mètres l’un de l’autre et son sourire était radieux.

Ma mémoire refusait de m’aider.

Ah la mémoire qui flanche lorsque nous avons besoin d’elle ! Cela ne vous ait jamais arrivé de chercher un mot, de l’avoir sous la langue ? Oui mais voilà que la mémoire refuse, s’amuse même du grand vide qui soudain s’entrouvre sous vos pieds. Le trou noir tant redouté du comédien, du chanteur qui vous noue les tripes et vous fait perdre contenance.

Et les mètres qui nous séparaient rétrécissaient provocant une angoisse qui, elle, progressait.

Pourtant j’aurai dû me remettre de cette fille dont le charme rehaussait le terne de la station. Comment oublier une telle beauté ?

Pas d’échappatoire, pas de train salvateur et toujours pas de mémoire qui revient.

Je devais être gauche. Elle attendait peut-être un geste, un sourire plus cordial.

J’aurai voulu rentrer sous terre, disparaître.

Je sentais la honte montée en moi et mon visage se teinter de rose avant de finir écarlate.

Quelle idée de revenir si brusquement vers mon logement ? J’aurai pu rester dehors, sous la pluie ou au bar, boire un autre demi. Je ne l’aurai alors pas rencontré, je n’aurai pas su que ma mémoire était défaillante à ce point…

Elle m’avait lâchée déjà plusieurs fois cette mémoire mais ils s’agissaient de rencontres avec des hommes. Les quiproquos étaient moins gênant. Je n’avais pas à les enlacer dans mes bras, à les embrasser… Et puis les périphrases aidaient à se remémorer les circonstances… La plupart étaient des camarades de travail. Les points communs existaient même si je ne me rappelait pas de leurs prénoms…

Là ce n’étaient plus des mecs mais une fille. La donne changeait.

A peine cinq mètres désormais nous séparaient.

Elle était ravissante.

Ses yeux semblaient rivés aux miens. Son sourire éclairait son visage comme le soleil la plage en été. Ses cheveux blonds tombaient sur les épaules. Sa poitrine perçait un chemisier entrouvert qui laissait voir la naissance de ses seins. 

L’heure de la vérité approchait. Ma mémoire continuait à se moquer de moi, mes jambes à chanceler.

Deux mètres, un mètre…

Je fis un dernier effort et mon sourire devint éclatant, mon corps se redressa. Je sortis les mains de mes poches comme pour…

Elle passa à côté de moi, sans même me regarder. Ces yeux étaient toujours rivés mais sur une autre personne !

Je restais immobile comme paralysé, envoûté par l’ effluve du parfum  enivrant qu’elle venait de laisser en me dépassant. Mes mains devenaient inutiles et mon sourire devait paraître idiot. Je finis par sortir de ma torpeur, mesurant mon erreur. Bien que rassuré mon désarroi était grand. Je me retournais et vis la fille, cette fille qui m’avait tant perturbée, dans les bras d’un amoureux…

A cet instant je mesurais mon malentendu et souris de ma mésaventure. J’étais rassuré ma mémoire n’avait pas flanchée !



13/06/2008
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